Textes de la Sagesse

 


Dans cet exposé, je voudrais considérer la situation et l'avenir de la foi chrétienne dans notre société en constante transformation.

1. Un temps de mutation : la crise comme espace de rupture et d'engendrement

1.1. Un temps de fracture : la crise de la transmission

La première étape est la sécularisation de la société. Cette sécularisation de la société a été engagée, de manière décisive, dès la fin du XVIIIe siècle avec la révolution démocratique, l'affirmation des droits de l'homme, le développement des sciences et l'autonomie de la raison philosophique. Pour autant, la religion ne disparaît pas, mais est renvoyée au libre assentiment de l'individu dans un univers devenu pluraliste. 

Mais on assiste aujourd'hui à une deuxième phase de la sécularisation : non plus seulement la sécularisation de la vie publique, mais la sécularisation de la vie privée elle-même. Ce sont les individus eux-mêmes qui, aujourd'hui, s'éloignent des formes héritées du christianisme parce qu'elles ne croisent plus leurs aspirations, parce qu'elles ne font plus sens ou sont devenues largement illisibles.

1.2. Un temps d'engendrement. Le christianisme qui  vient.

Mais c'est surtout le monde contemporain qui, dans la crise de la culture qu'il traverse, recèle des ressources prometteuses. Face au défi de la planète, on voit s'affirmer un besoin de spiritualité, un appel aux valeurs, un affinement de la conscience éthique en même temps qu'une recherche de sens. Un nouvel équilibre se cherche entre les religions et la laïcité

Pour ce temps de fracture et de reconstruction, il nous faut une pastorale qui n'a pas pour but de « sauver les meubles », mais une pastorale que nous appellerons d'engendrement : une pastorale qui se met au service de ce qui est en train de naître.  

2. POUR UNE PASTORALE D'ENGENDREMENT

On peut distinguer schématiquement deux types de pastorale :

* Une pastorale d'encadrement qui se déroule sous le paradigme de la maîtrise, avec un imaginaire d'entreprise, où l'on cherche finalement, à partir de ses propres projets et propres forces, à configurer l'Eglise et le monde à ce qu'on voudrait qu'ils soient.

* Une pastorale d'engendrement qui, à l'écoute des aspirations présentes, se met au service, avec compétence et discernement, de ce qui est en train de naître, en acceptant de ce fait, une certaine déprise et démaîtrise.

2.1. « Reboiser la forêt après la tempête » : une parabole pour notre temps.

Pour comprendre l'esprit de cette pastorale d'engendrement, je voudrais m'inspirer d'un fait réel, dans un tout autre domaine, mais qui, analogiquement, peut être instructif pour notre propos.

Le 26 décembre 1999, un ouragan appelé « Lothar »  a déferlé sur l'Europe, particulièrement dans l'Est de la France, avec des vents de plus de 150 km à l'heure. On estime que 300 millions d'arbres ont été abattus sur le territoire français. L'ouragan a laissé derrière lui un spectacle de désolation. On a dénombré une soixantaine de morts et un certain nombre de suicides de forestiers ou de propriétaires qui n'ont pu supporter l'ampleur de la catastrophe. « Une cathédrale écroulée, ce n'est pas grave, dit un forestier, on peut la reconstruire. Un chêne de 300 ou 400 ans, on ne peut pas ».

Après la catastrophe, des bureaux d'études ont vite élaboré des programmes de reboisement, des projets de réimplantation, des plans d'ensemencement. Il s'agissait de profiter de la catastrophe pour reconstruire la forêt selon l'image idéale que l'on pouvait s'en faire.

Mais une fois qu'il s'est agi de mettre en œuvre ces plans de reboisement, les ingénieurs forestiers ont constaté que la forêt les avait devancés. Ils ont constaté une régénération plus rapide que prévue qui venait contrarier les plans de reboisement en manifestant des configurations nouvelles plus avantageuses auxquelles les bureaux d'études n'avaient pas pensé. La régénération naturelle de la forêt manifestait, à bien des égards, une meilleure bio-diversité et un meilleur équilibre écologique entre les épicéas et les feuillus. Des espèces qui avaient été étouffées par la forêt ancienne pouvaient renaître. La catastrophe s'avérait aussi utile pour la renaissance ou l'expansion de certaines espèces animales.

D'une politique volontariste de reconstruction de la forêt selon leurs plans, les ingénieurs forestiers sont passés à une politique plus souple d'accompagnement de la régénération naturelle de la forêt en discernant et en saisissant les possibilités nouvelles et avantageuses qu'offrait cette régénération naturelle. Il ne s'agissait pas de renoncer à toute intervention, mais, plutôt, avec davantage de compétence,  d'accompagner, de manière active et vigilante, un processus de régénération naturelle. Voici ce que dit un ingénieur forestier sur cette attitude d'accompagnement : « De jeunes semis d'arbres d'espèces très variées ont poussé. Notre travail a été, alors, de les dégager délicatement, de les accompagner, d'accueillir la vie de la nature plutôt que de croire qu'elle avait disparu, plutôt que de la réimplanter artificiellement. Cela a été un encouragement pour nous. Dans cette logique, nous avons décidé que dans les forêts de l'Etat et des communes, nous laisserions les traces de la tempête lorsqu'il n'était pas nécessaire de les faire disparaître pour la sécurité ou les conditions de travail des ouvriers forestiers. Nous avons donc laissé des souches renversées, des trous, des troncs cassés ou des tas de branches. Trois ans après, j'ai pu constater dans des forêts que ces « anomalies » avaient permis l'installation de plantes ou d'animaux qui n'étaient pas présents dans la forêt « normale » d'avant. »

Procédons à un exercice de transfert. L'Eglise a connu elle aussi, particulièrement depuis une quarantaine d'années  un ouragan. Le paysage religieux, du moins dans ses expressions traditionnelles, est dévasté. Bien sûr, comparaison n'est pas raison : l'humanité n'est pas une forêt et les êtres humains ne sont pas des plantes. Mais ce qui nous intéresse, analogiquement, pour notre propos, c'est le changement d'attitude des forestiers : leur passage d'une politique volontariste de reconstruction de la forêt à une politique d'accompagnement, active et lucide, d'une régénération en cours. N'y aurait-il pas aussi à opérer ce même passage en pastorale : passage d'une pastorale d'encadrement à une pastorale d'engendrement ?

2.2. Une pastorale d'encadrement sous le paradigme de la maîtrise.

Selon cette pastorale – correspondant à la première attitude des forestiers – il s'agit, après la crise, d'annoncer l'Evangile et de reconstruire selon nos plans, comme si tout dépendait de nous. On entre alors en pastorale avec un imaginaire d'entreprise et d'emprise sur les choses conformément à nos planifications.

2.3. Pastorale d'engendrement : l'accompagnement de ce qui naît.

Cette pastorale correspond à la deuxième attitude des forestiers : elle consiste à accompagner, activement, avec discernement et compétence, une régénération dont nous ne sommes pas les maîtres. Il s'agit de saisir les opportunités nouvelles qui s'offrent sans que nous les ayons programmées. Il s'agit dans cette pastorale de reconnaître aussi que la « catastrophe » n'est pas une catastrophe pour tout le monde, que beaucoup ne voudraient pas revenir à la forêt ancienne et que le présent est porteur d'une meilleure bio-diversité ecclésiale en croissance. Une pastorale d'engendrement est une pastorale qui accepte la fin de certaines expressions de la foi qui ont eu leur temps et leurs lettres de noblesse mais qui sont aussi appelées à s'effacer pour laisser place à d'autres expressions. Se mettre au service de ce qui naît, c'est discerner les aspirations, peser les choses, prendre le temps de la concertation, délibérer, c'est-à-dire prendre des décisions qui libèrent, qui autorisent, qui rendent auteurs. C'est accueillir et lancer des projets, en donnant sa chance à l'inédit, en comptant sur les facteurs que nous ne maîtrisons pas, en faisant confiance à des forces qui ne sont pas les nôtres.

En fait, dans une pastorale d'engendrement, on accepte ce qui est la condition de toute naissance :

premièrement, nous ne sommes pas à l'origine de la vie et de la croissance,

deuxièmement on engendre toujours autre chose que soi-même. Ce qui naît est toujours différent de soi. La transmission de la foi, de ce point de vue, n'est pas de l'ordre de la reproduction ou du clonage. Elle est toujours de l'ordre de l'avènement.

Dans cette pastorale, on part du principe que l'être humain est « capable de Dieu ». Nous n'avons pas à produire en lui cette capacité. Nous n'avons pas non plus le pouvoir de communiquer la foi. Mais notre devoir est de veiller aux conditions qui la rendent possible, compréhensible, praticable et désirable. La pastorale travaille sur les conditions. Le reste est affaire de grâce et de liberté.

Ce que je viens de dire de la pastorale d'engendrement rejoint profondément l'Evangile. Tout ce que nous pouvons faire, c'est semer. L'évangile parle de la mission comme de semailles. « Le semeur est sorti pour semer, qu'il veille ou qu'il dorme, la semence pousse et il ne sait comment. » (Mc 4,26-27). De ce point de vue, la pastorale se présente comme une alchimie subtile entre les actions à mener et la nécessaire « retenue » pour laisser advenir ce qui doit naître.

3. QUELQUES ATTITUDES SPIRITUELLES DISPOSANT A UNE PASTORALE D'ENGENDREMENT

3.1. Demeurer assidûment destinataires de l'Evangile.

Lorsque nous annonçons l'Evangile, nous risquons, sans nous en rendre compte, d'oublier d'en rester les premiers destinataires.

Tout se passe alors comme si, nous étant appropriés adéquatement l'Evangile, il nous restait à le transmettre aux autres. C'est un peu comme si nous n'avions plus rien à entendre et à  recevoir de l'Evangile, mais que, passés « maîtres » dans l'art de comprendre et de vivre l'Evangile, il nous restait simplement à en être pour autrui les destinateurs.

3.2. Entendre une parole qui invite à se déplacer là où est le Christ ressuscité  se trouve :  «  Il n'est pas ici. Il vous précède en Galilée, c'est là que vous le verrez ». Mc 16,7.

Or, que nous dit l'Evangile au matin de Pâques ? « Il n'est pas ici. Il vous précède en Galilée, c'est là que vous le verrez ». Cette annonce angélique déloge constamment l'évangélisateur. Il y a là un renversement de perspective radical. Nous n'avons pas le Christ avec nous comme un objet tenu, détenu, maîtrisé qu'il nous faudrait transmettre à d'autres qui ne l'auraient pas. Le Christ n'est pas un objet possédé que l'on peut tenir « ici ». Il nous faut, pour le rejoindre, sortir de chez soi, quitter son lieu et aller dans le lieu de l'autre – la Galilée des nations – où il nous précède.

On est toujours précédé par l'Esprit du Christ là où on arrive. Nous n'apportons pas aux autres ce qu'ils n'ont pas, mais nous les rejoignons sur leur route pour découvrir avec eux les traces du Christ ressuscité déjà là. La foi est une démarche de reconnaissance de ce qui est déjà donné secrètement.

Aussi bien avons-nous à nous porter vers l'autre non point pour le gagner à notre cause, non point pour lui apporter ce qu'il n'a pas, mais pour reconnaître avec lui, dans sa vie, la présence du Ressuscité d'une manière qui peut nous-mêmes nous surprendre. Ainsi avons-nous à recevoir de ceux que nous évangélisons le témoignage de l'œuvre de Dieu déjà en eux.

3.3. Se risquer à l'accueil dans le lieu  de l'autre. Se faire accueillir autant qu'accueillir.

La tâche d'évangélisation est souvent énoncée en termes d'exigence d'accueil. « Nos communautés chrétiennes, dit-on, doivent être accueillantes ». Bien entendu. Mais n'y a-t-il pas dans cette invitation à être accueillant envers les autres une position de supériorité à leur endroit? En effet, lorsque nous multiplions les signes d'accueil, ne sommes-nous pas en train de leur dire implicitement : « Venez trouver chez nous ce que vous n'avez pas chez vous » ? Ainsi, dans le jeu de la communication, celui qui accueille se met-il subrepticement en position haute tandis que celui qui est accueilli est renvoyé à une position basse. 

Pour en sortir, n'y aurait-il pas, conformément à l'Evangile, à inverser la logique : non point tellement chercher à accueillir l'autre chez soi qu'à se risquer à l'accueil chez lui, en faisant foi en ses propres capacités d'accueil ?

L'Evangile parle d'hospitalité quémandée. L'Evangile, en effet, ne nous dit pas : « Soyez accueillants ». Il nous invite plutôt à nous déplacer vers l'autre pour en recevoir l'hospitalité. « Zachée, il me faut demeurer chez toi aujourd'hui » (Lc 19,5).  « Quand vous avez trouvé l'hospitalité dans une maison, demeurez-y jusqu'à votre départ » (Mc 6,10). « Qui vous accueille, m'accueille » (Mt 10,40). «Je me tiens à la  porte et je frappe. Si quelqu'un entend, j'entrerai et je prendrai le repas avec lui et lui avec moi. ». (Ap. 3,20)

3.4. Humaniser, fraterniser comme une fin en soi. Situer la foi comme un surcroît désirable dans le champ de la fraternité.

En se risquant dans l'accueil par l'autre, on pourra s'efforcer de se lier avec lui, de nouer des liens de solidarité dans une œuvre commune d'humanisation. « Les joies et peines, les espoirs et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout,  sont aussi les joie et les peines, les espoirs et les angoisses des disciples du Christ. Il n'est rien d'humain qui ne fasse écho dans leur cœur ». Tout commence dans l'Evangile par un travail d'humanisation : il s'agit de faire advenir l'humain, de sortir de la violence et de nouer des liens de  fraternité. Cette humanisation / fraternité est une fin en soi. Mais de surcroît, cette humanisation / fraternisation constitue le terreau favorable à l'annonce évangélique, dans un climat de fraternité précisément, en dehors de toute volonté de puissance sur l'autre. Et cette annonce évangélique elle-même est une fin en soi, indépendamment de la réponse.

3.5. . Mettre « en travail » les images, les représentations de Dieu.

En chemin, dans cette double prédication, on rencontrera sans doute des oppositions qui viennent de certaines images de Dieu qui bloquent la foi, provoquent le rejet ou la font vivre de manière servile. De là, dans la brèche, en chemin, tout en dialoguant, faut-il autant que possible, y compris en nous-mêmes, lever les obstacles que représentent les images de Dieu qui ne sont pas libérantes pour l'homme. La pastorale d'engendrement requiert un patient travail des représentations qui honorent Dieu autant que l'homme. Car les deux vont de pair : un dieu qui fausse l'homme est un faux dieu. C'est dans l'excellence de l'humain que la vérité de Dieu se manifeste.

3.6. Nourrir la mémoire, animer le débat, favoriser la liberté d'appropriation.

Mais il ne suffit pas de nourrir la mémoire, il faut encore, animer le débat autour d'elle. L'enjeu ici, dans le débat, est de faire valoir la tradition, non pas comme un bloc qui s'impose, mais comme une ressource qui est là, qui « donne à penser » et à vivre. « Donner à penser », l'expression paraît heureuse, car elle allie, à la fois, l'aspect de légèreté de la foi qui ne s'impose pas et ne pèse pas, mais aussi l'aspect de gravité pour les enjeux humains en cause. Un devoir d'intelligence s'impose ici.

Et enfin, la troisième, après le débat, consiste à favoriser la liberté d'appropriation par les sujets de la tradition chrétienne. Telle est la condition de toute transmission : elle est soumise à la libre appropriation des individus qui y puisent en y mettant du leur. Chacun en fera ce qu'il voudra. Nous ne pouvons, à cet égard, ni préjuger des fruits ni du temps de maturation. Ce qui viendra ne sera peut-être pas la foi chrétienne.

Pour les uns, ce ferment de la tradition chrétienne – cette « part séminale de notre culture »  selon les termes de Marcel Gauchet – portera des fruits de culture, en les aidant à se situer dans une histoire, à la penser et à la vivre. D'autres en tireront une inspiration éthique. Mais d'autres encore se frayeront un chemin de foi au sein de la communauté chrétienne. Proposer de la sorte le christianisme comme semence, y compris dans l'espace public, ce n'est ni imposer d'autorité une vérité, ni normaliser les consciences, mais véritablement permettre à chacun et à chacune de mieux exercer sa liberté de citoyen ou de citoyenne face à ce qu'il énonce pour se l'approprier ou non, s'en inspirer ou non pour son propre devenir comme pour son action dans la société.

3.7. Saisir les résistances comme des chances

Annoncer l'Evangile ne va jamais sans rencontrer des résistances. On peut s'en désoler, incriminer, vouloir forcer la porte. Mais on peut aussi saisir  les résistances comme des chances pour un travail d'inculturation de la foi. Les inculturations de la foi  réussies sont des expressions, des manières de penser, de célébrer et de vivre la foi qui ont été inventées ou renouvelées à cause des résistances rencontrées. Par exemple, la messe en rite zaïrois vient d'une résistance des populations locales aux formes de la liturgie romaine classique.

3.8. Faire la différence entre « croire avec » et « croire comme ».

Nous risquons toujours comme pasteurs de vouloir que l'autre croie « comme nous » ; la transmission de la foi se situe alors dans l'horizon d'une reproduction ou d'une imitation de ce que nous mêmes nous vivons. Mais, le risque, alors, c'est d'encombrer l'accès à la foi par nos propres étroitesses en imposant le chemin et leur manière d'habiter la foi. C'était déjà la tentation des juifs convertis au christianisme qui voulaient imposer aux païens devenus chrétiens leurs propres traditions et coutumes.

Dans un temps de mutation comme le nôtre, il faut laisser le champ à l'émergence d'une « bio-diversité ecclésiale » qui fait droit aux aspirations et à la singularité des personnes et faciliter ainsi la grâce de devenir chrétien. La transmission de la foi n'est jamais de l'ordre du clonage, elle implique toujours une appropriation inventive. D'où, la diversité mais aussi l'unité.

Pour comprendre ce rapport unité et diversité, on peut prendre la comparaison du visage humain. Celui-ci est repérable par une forme commune et pourtant, un visage humain peut-être extrêmement divers. 

3.9.  Demander et recevoir de l'aide. Compter sur des facteurs que l'on ne maîtrise pas.

Souvent, l'évangélisation est conçue à partir de nos propres forces et richesses. Mais pourquoi faudrait-il que l'évangélisation se produise quand on est fort et non lorsqu'on est faible. Que faire, dans un temps de mutation comme le nôtre, où l'on est pris dans un bouleversement qui nous échappe et que nous manquons de force ?

Dans de telles situations, comme aujourd'hui, l'essentiel est d'apporter le peu que l'on a, d'oser demander l'aide des autres et de compter sur des facteurs que l'on ne maîtrise pas.

Et même, sans avoir rien demandé, il nous faut aussi, dans notre tâche d'évangélisation, compter sur des facteurs que nous ne contrôlons pas, sur des alliés inattendus. Ces alliés inattendus peuvent être des personnes, des événements, des théories, des aspirations culturelles nouvelles :

Dans cet esprit de confiance et de démaîtrise, sans doute nous faut-il entendre les paroles que Gamaliel adressa au Sanhédrin à propos de la mission des disciples de Jésus : « Si leur entreprise ou leur œuvre vient des hommes, elle se détruira d'elle-même, mais si vraiment elle vient de Dieu, vous n'arriverez pas à les détruire » (Actes 5, 38-39)

André Fossion s.j. Centre Lumen Vitae, Bruxelles

A Nanterre, le 19 septembre 2006


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L'Eglise est appelée à renaître
« Il faut croire en la vie, se risquer dans un avenir incertain, afin d'ouvrir des chemins nouveaux. »

La levée de l'excommunication des évêques intégristes, les propos négationnistes de Mgr Williamson, l'incroyable affaire de Recife et la polémique sur le préservatif et le sida ont suscité des débats passionnés chez les catholiques. Certains ont saisi cette occasion pour rappeler qu'un «schisme silencieux» s'opérait sous nos yeux et que ces erreurs de gouvernement l'aggravaient. D'autres se sentent convoqués à réaffirmer leur attachement au concile Vatican II Mais n'est-ce pas aussi l'occasion de réaffirmer notre amour pour Jésus-Christ et notre appartenance aimante à son Église? Parce qu'elle est unie au Christ, elle est signe de l'union intime avec Dieu et de l'unité du genre humain, mais elle n'est pas un pur esprit! Elle est incarnée et donc inscrite dans l'histoire. Cela signifie que, si elle vit de l'esprit de Dieu, elle est aussi humaine, donc pécheresse. Sans nous écarter de cette appartenance et parce que nous aimons notre Église, nous voulons attirer l'attention de sa hiérarchie sur des questions graves de plusieurs ordres. De gouvernement d'abord. Des dysfonctionnements apparaissent à tous les niveaux: de la Curie aux conférences épiscopales en passant par les synodes diocésains. L'ecclésiologie de communion n'est pas assez développée et vécue, d'où une faiblesse de la collégialité et une peur manifeste dans l'exercice de la subsidiarité. L'Église apparaît comme une hiérarchie pyramidale, ce que le monde moderne, à raison pensons-nous, rejette.
Des questions disciplinaires ensuite. Les questions des divorcés remariés, la morale sexuelle depuis l'encyclique Humanœ vitce (1968) et le statut d'infériorité des femmes dans l'Église représentent un poids trop lourd à porter pour de nombreux catholiques. Pourquoi un tel statu quo? Des questions sur le fondement communautaire de l'Église: des communautés vivantes de proximité tablant sur une prise en charge par les chrétiens eux-mêmes choisissent elles-mêmes leurs responsables en accord avec l'évêque. Cela ne remet pas en cause le ministère fondamental du prêtre, mais bien au contraire le place au cœur de sa mission (Parole et Eucharistie). L'expérience du diocèse de Poitiers est une tentative heureuse dans ce sens. Pourquoi n'est-il pas mieux connu? étudié? expérimenté ailleurs sous cette forme particulière ou sous une autre?
Des questions autour du renouveau des ministères, enfin, à la faveur de l'apparition de nouvelles formes d'engagement d'authentiques disciples du Christ capables d'être en unité à l'évêque (et au presbyterium) et à la communauté d'appartenance. Une analyse théologique et ecclésiologique de «ce qui se passe» aujourd'hui s'impose. Faudrait-il attendre que des laïcs souhaitent présider l'Eucharistie pour l'engager? Le monde change, et vite. L'Église n'a pas à avoir peur d'aller à contre-courant dans certains débats de société et de fonder sa pensée sur le sens de l'homme en alliance avec Dieu. En même temps, dans ce monde qui change, pour mieux répondre aux besoins des hommes, son mode de présence et d'action est appelé à changer, son langage à évoluer et la vie communautaire à renouveler son expression.
Une telle mutation ne se fera pas sans que l'Église consente à mourir à certains aspects de ses modes de vie pour renaître à d'autres. Mourir est difficile. Cela suppose de consentir à la perte et à l'abandon en croyant qu'une vie nouvelle est donnée. C'est pourtant ce type de passage que nous appelons de nos vœux. N'est-ce pas le cœur du mystère chrétien? Cet acte de foi et d'abandon requiert aussi de croire que l'existentiel a engendré l'institution et non l'inverse; croire en Dieu ne suffit pas. Il faut aussi croire en la vie, espérer, se risquer dans un avenir incertain, afin d'ouvrir des chemins nouveaux.
Mardi 27 avril 2009 – la croix

(1) Guy Aurenche, Jean-François Bouthors, Jean Delumeau, Laurent Grzybowski,, Monique Hébrard, Elena Lasida, Paul Malartre, Gabriel Marc, Bernard Perret, Marie-Christine Ray, Jean-Pierre Rosa, Gérard Testard.

 


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Texte original du discours du Saint Père - L'Osservatore Romano - 3 juin 2008

Séminaire pour les communautés nouvelles

Messieurs les cardinaux, Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce, Chers frères et sœurs,

Je suis heureux de vous rencontrer à l'occasion du séminaire d'étude organisé par le Conseil pontifical pour les laïcs chargé de réfléchir sur la sollicitude pastorale envers les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles. Je remercie les nombreux prélats provenant de toutes les parties du monde pour leur présence: leur intérêt et leur participation active ont garanti la complète réussite des travaux, qui sont en voie de conclusion. J'adresse à tous mes confrères dans l'épiscopat et à toutes les personnes présentes un salut cordial de communion et de paix; je salue en particulier Monsieur le cardinal Stanislaw Rylko et Mgr Josef Clemens, respectivement président et secrétaire du dicastère, et leurs collaborateurs.

Ce n'est pas la première fois que le Conseil pour les laïcs organise un séminaire pour les évêques sur les mouvements laïcs. Je me rappelle celui de 1999, continuation pastorale idéale de la rencontre de mon bien-aimé prédécesseur Jean-Paul II avec les mouvements et les communautés nouvelles, qui s'est tenu le 30 mai de l'année précédente. En tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, je fus directement impliqué dans le débat. J'eus l'occasion d'établir un dialogue direct avec les évêques, un échange franc et fraternel sur de nombreuses questions importantes. De la même manière, le séminaire d'aujourd'hui se veut être une suite de la rencontre que j'ai moi-même eue, le 3 juin 2006, avec une large représentation de fidèles appartenant à plus de cent nouveaux rassemblements laïcs. A cette occasion, j'indiquai dans l'expérience des mouvements ecclésiaux et des communautés nouvelles le "signe lumineux de la beauté du Christ, et de l'Église, son Épouse" (cf. Message aux participants au Congrès du 22 mai 2006).

 En m'adressant aux "chers amis des mouvements", je les exhortais à faire davantage de ceux-ci des "écoles de communion, des compagnies en chemin, dans lesquelles on apprend à vivre dans la vérité et dans l'amour que le Christ nous a révélés et communiqués au moyen du témoignage des apôtres, au sein de la grande famille de ses disciples" (ibid.). Les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles sont une des nouveautés les plus importantes suscitées par l'Esprit Saint dans l'Église par la mise en oeuvre du Concile Vatican II. Ils se multiplièrent en effet à l'abri des assemblées conciliaires, surtout dans les années qui le suivirent, dans une période chargée de promesses enthousiasmantes, mais également marquée par des épreuves difficiles. Paul VI et Jean-Paul II surent accueillir et discerner, encourager et promouvoir l'irruption inattendue des nouvelles réalités laïques qui, sous des formes diverses et surprenantes, redonnaient vitalité, foi et espérance à toute l'Église. En effet, elles rendaient alors déjà témoignage de la joie, du bien-fondé et de la beauté d'être chrétiens, en se montrant reconnaissantes d'appartenir au mystère de communion qu'est l'Église. Nous avons assisté au réveil d'un élan missionnaire vigoureux, mû par le désir de transmettre à tous la précieuse expérience de la rencontre avec le Christ, ressentie et vécue comme la seule réponse adaptée à la soif profonde de vérité et de bonheur du coeur humain.

Comment ne pas se rendre compte, en même temps, que cette nouveauté attend encore d'être correctement comprise à la lumière du dessein de Dieu et de la mission de l'Église dans le contexte de notre temps ? Précisément à cette fin se sont succédé de nombreuses interventions de rappel et d'orientation de la part des Papes, qui ont initié un dialogue et une collaboration toujours plus profonds au niveau de beaucoup d'Églises particulières. Beaucoup de préjugés, de résistances et de tensions ont été dépassés. Il reste à accomplir la tâche importante de promouvoir une communion plus mûre de toute les composantes ecclésiales, pour que tous les charismes, dans le respect de leur spécificité, puissent pleinement et librement contribuer à l'édification de l'unique Corps du Christ.

J'ai beaucoup apprécié qu'ait été choisie, comme base des travaux de notre séminaire, l'exhortation que j'ai adressée à un groupe d'évêques allemands en visite ad limina, que je vous repropose naturellement aujourd'hui: "Je vous demande d'aller au devant des mouvements avec beaucoup d'amour" (18 novembre 2006). Je pourrais presque dire que je n'ai rien d'autre à ajouter! La charité est le signe distinctif du Bon Pasteur : elle rend autorité et efficacité à l'exercice du ministère qui lui a été confié. Aller à la rencontre des mouvements et des communautés nouvelles avec beaucoup d'amour nous pousse à connaître de manière adéquate leur réalité, sans impressions superficielles ou jugements réducteurs. Cela nous aide également à comprendre que les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles ne sont pas un problème ou un risque de plus, qui s'ajoutent à nos charges déjà lourdes. Non! Ils sont un don du Seigneur, une ressource précieuse pour enrichir avec leurs charismes toute la communauté chrétienne. Aussi, il faut leur réserver un accueil confiant qui leur donne des espaces et valorise leurs contributions dans la vie des Églises locales. Des difficultés et des incompréhensions sur des questions particulières n'autorisent pas une fermeture. Que le "beaucoup d'amour" nous inspire prudence et patience. Il nous est demandé à nous, pasteurs, d'accompagner de près, avec une sollicitude paternelle, de manière cordiale et sage, les mouvements et les communautés nouvelles, pour qu'ils puissent généreusement mettre au service de l'utilité commune, de manière ordonnée et féconde, les nombreux dons dont ils sont porteurs et que nous avons appris à connaître et à apprécier: l'élan missionnaire, les itinéraires de formation chrétienne efficaces, le témoignage de fidélité et d'obéissance à l'Église, la sensibilité aux nécessités des pauvres, la richesse des vocations.

L'authenticité des nouveaux charismes est garantie par leur disponibilité à se soumettre au discernement de l'autorité ecclésiastique. De nombreux mouvements ecclésiaux et communautés nouvelles ont déjà été reconnus par le Saint-Siège, et sont donc sans doute considérés comme un don de Dieu pour toute l'Église. D'autres, encore en phase émergente, demandent l'exercice d'un accompagnement encore plus délicat et vigilant de la part des pasteurs des Églises particulières. Celui qui est appelé à un service de discernement et de conduite ne prétend pas imposer sa loi aux charismes, mais les préserve plutôt du danger de l'étouffement (cf. 1 Th 5, 19-21), en résistant à la tentation d'uniformiser ce que l'Esprit Saint a voulu multiforme pour participer à l'édification et au développement de l'unique Corps du Christ, que l'Esprit Saint même rend solide dans l'unité. Consacré et assisté par l'Esprit Saint, dans le Christ, chef de l'Église, l'évêque devra examiner les charismes et les mettre à l'épreuve, pour reconnaître et valoriser ce qui est bon, vrai et beau, ce qui contribue à la croissance de la sainteté des personnes et des communautés. Quand des interventions de corrections seront nécessaires, qu'elles soient elles-mêmes des expressions du "beaucoup d'amour". Les mouvements et les communautés nouvelles sont fiers de leur liberté associative, de la fidélité à leur charisme, mais ont également montré qu'ils savent bien que fidélité et liberté sont garanties, et certainement pas limitées, par la communion ecclésiale, dont les évêques, unis au Successeur de Pierre, sont des ministres, des gardiens et des guides.

Chers frères dans l'épiscopat, au terme de cette rencontre, je vous exhorte à raviver en vous le don que vous avez reçu avec votre consécration (cf. 2 Tm 1, 6). Que l'Esprit de Dieu vous aide à reconnaître et garder les merveilles que Lui-même suscita dans l'Église en faveur de tous les hommes. Je confie chacun de vos diocèses à la Très Sainte Vierge Marie, Reine des apôtres, et vous donne de tout coeur une affectueuse Bénédiction apostolique, que j'étends aux prêtres, aux religieux, aux séminaristes, aux catéchistes et à tous les fidèles laïcs, aujourd'hui en particulier, aux membres des mouvements ecclésiaux et des communautés nouvelles présents dans les églises qui sont confiées à vos soins.


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Extrait de Laurence Freeman osb,
Jésus le maître intérieur, chap. 3 « Connaissance de soi et amitié », Albin Michel, 2002.

La nouvelle espèce de vie rendue possible par la Résurrection ne repose pas sur le constat médical du tombeau vide, ni même sur la preuve circonstancielle des apparitions. La preuve se situe dans la vie quotidienne…

La foi en la Résurrection n’est pas insensée, elle repose sur une espèce particulière de bon sens et de rationalité. Les conceptions de la raison varient au cours de l’histoire. Comme l’amour, la foi en la Résurrection a un caractère raisonnable qui lui est propre. Elle ne peut être attaquée au seul nom de la logique. Sa vérité est attestée dans une nouvelle qualité d’être, un degré plus élevé de plénitude, compris et non appris. Les expériences, même les apparitions de la Résurrection, passent. Elles deviennent des souvenirs. Mais nous, nous connaissons la Résurrection dans ce que les premiers disciples appelaient le « Jour du Christ ». C’est le moment présent illuminé par la capacité de la foi à voir l’invisible, à reconnaître l’évident. Comme l’a écrit Simone Weil : « Il vient à nous caché, et le salut consiste pour nous à le reconnaître. »

La question posée par Jésus « Qui dites-vous que je suis ? » est le don que nous fait le rabbouni : le fait même de la poser dispense la « grâce du gourou ».

À chaque époque, sa question est le don en attente d’être reçu. Elle a le pouvoir d’éveiller de manière simple et subtile la connaissance de Soi dans l’expérience propre à chacun de la Résurrection ; et ce pouvoir est perpétuel. Saint Thomas emploie le présent lorsqu’il parle de la Résurrection. On peut comprendre que pour lui, la Résurrection… transcende toutes les catégories de temps et d’espace. De même, les icônes de la tradition orthodoxe qui la représentent suggèrent la même transcendance et montrent que la puissance qui a ressuscité Jésus est présentement et continûment active.

Le travail essentiel d’un maître spirituel consiste uniquement en ceci : non pas dire ce que l’on doit faire, mais aider à voir qui l’on est. Le Soi qu’il nous donne de connaître par sa grâce n’est pas un petit moi séparé, isolé, attaché à ses souvenirs, ses désirs et ses peurs. C’est un champ de conscience semblable à, et inséparable de la Conscience qui est le Dieu de la révélation cosmique aussi bien que biblique : l’unique grand « JE SUIS ».


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D’autres visages d’Eglise possibles

1 D’après Dom Jean Pierre Longeat, abbé de Ligugé

Des monastères intégrés dans un complexe de communautés chrétiennes et qui vivraient le témoignage spécifique de leur vocation mais en lien étroit avec les paroisses, mouvements, groupements ecclésiaux.

Au 4° s. il y a avait des communautés diverses dans la cité ; déjà aujourd’hui il existe des monastères avec des laïcs associés sans engagement définitif ; il serait temps que l’Eglise en finisse avec les dichotomies (action contemplation, hommes, femmes- Moines ou prêtres, chacun dans son bord ! )
Il n’y a pas le mystique d’un côté, et le militant de l’autre : les deux vont ensemble :

-     la vie active (praxis) étant la transformation de soi qui nous entraîne à agir et à nous convertir.

-     la vie contemplative (theoria) étant la poursuite de ce but ultime de la vie humaine qu’est l’union à Dieu 

Nous sommes des Occidentaux marqués profondément par des catégories qui s’opposent  alors qu’il faut les tenir ensemble.

La communauté monastique est une communauté chrétienne à l’intérieur du monde  un groupe de moines, moniales avec des laïcs- hommes et femmes- prêtres, et autres religieux ou religieuses qui, ensemble, partagent  la prière, l’annonce de l’évangile, mais en préservant des limites pour trouver le juste équilibre entre l’expression du charisme et la nécessaire institutionnalisation.

dans « paroles d’un moine en chemin » Albin Michel


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     « Demain quelle Eglise ? »

Je vois des communautés de joie , de liberté pour montrer aux hommes que Dieu est leur liberté et leur joie. Des espaces d’Eglise où l’on peut faire l’expérience de l’Eucharistie tout en vivant l’amitié, la solidarité, la beauté ; où l’on peut découvrir l’Eglise comme source de paix, de « grande joie » comme « source de vie », source secrète où viennent se désaltérer des hommes-sources : moines, ermites, religieux et laïcs épris de Dieu : cela suppose

3        des communautés plus petites, chaleureuses, accueillantes où l’on ne juge pas. ; que ces communautés soient regroupées autour d’évêques plus charismatiques, moins administratifs ; des apôtres mais aussi des prophètes pour dénoncer les erreurs du temps, avoir une parole libre, et qu’ils continuent de présenter l’Evangile comme source d’inspiration ;

4        des communautés amicales, qui peuvent rayonner à condition d’éviter certains obstacles : l’autoritarisme des supérieurs, le fanatisme et la tentation fusionnelle ou encore l’exaltation d’une orthodoxie quasi totalitaire ; il faut développer la dimension communautaire et la dimension spirituelle personnelle : c’est indispensable ! Je me méfierais de communautés non respectueuses de la liberté des individus.

5        Des communautés monastiques qui osent vivre moines et moniales côte à côte (monachisme à double branche) comme dans les 3 ou 4 premiers siècles de l’Eglise ; il n’était pas rare qu’un moine et une femme vivent ensemble comme frère et sœur en participant à la vie liturgique de la communauté ; cette forme de vie s’appelait le syneiskatisme : forme de vie monastique mais en couple, vivant sous le même toit ; ils vivaient ainsi un aspect de leur ascèse ; cela n’a plus grand-chose à voir avec nos paroisses apparues avec l’ère constantinienne : quand il fallait être chrétien pour faire carrière ! En réponse est né le monachisme. Et surtout le monachisme basilien, pas celui du désert (propre de grands individus) ;

      saint Basile pensait qu’il fallait retrouver des communautés fraternelles

D’après Olivier Clément


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"L’autre Soleil "
Le visage de Jésus est léger d'éternité. Toujours ouvert, une différence, mais dans l'identité.
Et ce visage était là, accueil absolu de ces yeux qui ne peuvent plus pétrifier depuis qu'ils se sont fermés sur la croix et rouverts à l'aube de Pâques.
Tant de visages se fermaient alors autour de moi. Ou plutôt je les fermais, c'était un vertige.
Ce visage était là, dans l'ombre, accueil absolu « II n'y a que oui en lui » tandis que je descendais en de pauvres enfers.
Jésus, je le rencontrais, l'aimais, le contestais, me laissais contester par lui à la fois sur les chemins des hommes et sur ceux des dieux.
Vertige de liberté vide. J'avais brûlé mes vaisseaux. Homme sans vraie culture, sans foi ni loi mûries dans une communauté de destin, j'aimais Jésus celui que je nommais le « profanateur ».
J'avais tort, car ce n'est pas le profane qu'il instaure, laissons cela aux défunts théologiens de la défunte « mort de Dieu»
Il instaure quoi, alors ? Peut-être simplement que les choses soient ce qu'elles sont dans une certaine lumière; peut-être seulement que la mort ne pèse plus sur les cœurs et que les visages s'ouvrent; peut-être seulement que tout soit neuf.
J'avais tort et j'avais raison: Il n'instaurait pas le profane, mais il brisait toute cette physique surnaturelle du pur et de l'impur, toute cette hiérarchie de mépris et d'exclusions qui pesait sur la société de son temps et que nous sécrétons sans cesse, pour nous protéger de la mort.
Mais lui, la mort, il lui réglait son compte autrement. Il était donc libre.
C'est bien cela que je voulais dire : il instaurait la liberté, il instaurait la souveraineté créatrice de l'amour. Jusque dans les enfers de l'être, quand il dit à ce bandit qui agonise à ses côtés, mais garde la liberté ultime de l'aversion ou de la conversion : « Aujourd'hui, tu seras avec moi en paradis » (Luc XXIII, 43).
Et quel coup de pied dans les recettes de cuisine de la sacralité, quel coup de fouet dans ses petits et grands profits ! Ce jeune rabbi prend ses repas avec n'importe qui, à une époque où le repas pris en commun constituait un rite assorti de règles méticuleuses de purification et d'incompatibilité.
Quelle modernité, quand il rappelle à ce propos, les circuits biologiques les plus prosaïques, et que ce qui compte vient du cœur, c'est-à-dire du plus personnel de la personne. Et lui va au « centre le perdu », et ceux qui ont le cœur meurtri et brisé  vont à lui. Ce faisant, il se roule dans l'impureté rituelle, il se déshonore, il fréquente des femmes, des « hérétiques, des païens, des collecteurs d'impôts acoquinés avec l'occupant. Aux vieilles notions du pur et de l'impur, dont se cuirassent les pharisiens, il préfère les images financières qui circulent dans ces milieux marginalisés et dont la neutralité religieuse permet justement d'affirmer l'évènement de la personne...
Profanateur, Jésus l'est par excellence quand il s'en prend, et avec quelle violence aux  pharisiens, dont on découvre périodiquement que  c'étaient des gens vraiment très bien, qui accomplissaient scrupuleusement leurs devoirs envers les hommes et envers Dieu.
Mais la prostituée qui se jette aux pieds de Jésus, il lui sera beaucoup pardonné parce qu'elle a beaucoup aimé. J'ai foi, viens au secours de mon manque de foi ! Je t'aime, viens au secours de mon manque d'amour ! Je suis crucifié, est-ce à ta droite ou à ta gauche, je ne sais, je suis plein de blasphème et de foi...
Profanateur : à tous les sûrs de soi d'Eglise et de parti, il lance, avec quelle ironie, que le sabbat est pour l'homme et non l'homme pour le sabbat, et qu'il n'est pas venu pour les bien-portants, mais pour les malades. Mais qui est bien-portant ? Qui est malade ? Retournement évangélique. Bienheureux les pauvres en esprit. Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume. Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre.
Profanateur insaisissable, inclassable. Qui chasse à coups de fouet les marchands du temple, mais, avec quelle hauteur, fait rengaine à Pierre son épée.
Qui rétablit la plénitude originelle, paradisiaque, de l'amour humain, mais libère l'homme leurs nœuds de vipères familiaux : laisse les morts enterrer les morts; qui aime son père, sa mère, son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi.
Souverainement libre, en effet, et d'abord des passions de l’éros et de la puissance.
Puritains, laisseriez- vous une courtisane verser du parfum sur vos pieds et les essuyer de ses cheveux? Libertins, évoqueriez- vous alors votre sépulture?
Et cette exigence, cet exemple jusque sur la croix : « Père, pardonne-leur car ils ne savent ce qu'ils font », de l’amour des ennemis, seule rupture possible, dans l’histoire aussi, des enchaînements inéluctables : celui qui frappe par l'épée périt par l'épée.
Qu'il est libéré, il est léger comme la lumière, celui qui peut tendre la joue gauche. En vérité, il marche sur les eaux.
Jésus va droit à chacun, préfère chacun, profanant par là toute sacralité impersonnelle, qu'elle s'appelle religion, histoire, structure ou  système - car la seule chose qui doive vous réjouir, c'est que vos « noms » soient inscrits dans les cieux.
Jésus voit les visages sous les masques, brise le cœur de pierre pour libérer le cœur de chair, décèle, descelle en chacun sa part divine, l'image de l'éternité. Il ne dit pas le permis et le défendu, il appelle à l'amour créateur, il insuffle l'Esprit. Il va droit au collaborateur et au résistant, au marginal et au capitaliste ; il ne fait pas de théories, ni de miracles, pour changer les pierres en pain, mais le pain est son corps, le vin son sang, et qui mange ce corps et boit ce sang a - dès ici-bas la vie éternelle.
Fils de roi, il refuse d'être fait roi. Il se contente de croiser à jamais le règne de César par celui de Dieu. Il se contente de faire entrer dans l'histoire comme une blessure et comme un levain,la révélation de la personne et de la toute-humanite de chaque personne.
Depuis, c'est l'axe secret de l'histoire.
Axe de feu - « Je suis venu jeter le feu sur la terre » - dont procède toute création de vérité de vie, de beauté.
On trouve dans les Evangiles, souvent, une d'ironie aimante, éveilleuse, qui entrouvre à un Dieu étrangement inconnu.
La Samaritaine parle de corvée d'eau, et Jésus de l'eau vive. La Cananéenne, devant l'exclusivisme juif, évoque les miettes que les chiens ramassent sous la table, et Jésus laisse éclater l'universalité de son message. Ironie d'un Roi et d'un Innocent.
Je m'étonnais que les chrétiens ne remarquassent pas davantage le côté solaire de Jésus, sa façon noble, royale, irradiante d'être là et de se dégager, de provoquer et de laisser les coups passer à travers lui, comme dans le vide, de retourner une question, de parler comme l'archer tire et de se taire de même, de s'échapper pour aller prier dans la solitude et la nuit, « séparé de tous et uni à tous ». De mettre en croix la Royauté et l'Innocence, la Parole et le Silence, la présence et le retrait, l'histoire et le Royaume... Peut-être le Christ de la Dormition, à Sopotchani, en Serbie - les Serbes sont un peuple guerrier - est-il celui qui exprime le mieux cette royauté paradoxale, cette virilité fulgurante et pleine de tendresse.

Olivier Clément dans « l’autre Soleil » autobiographie spirituelle edit. Stock- P.101-102
 


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Pourquoi tant de mépris ?
Il y a moins de points communs que lon s'imagine entre les diverses religions du monde. Il y a surtout la fameuse règle d'or, déclinée de mille manières : ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse. Il en est un autre, en contradiction flagrante avec ce principe, qui surprend par son ancienneté, sa permanence et sa quasi-universalité: le mépris de la femme. Comme si la femme était un être humain potentiel ou raté, assurément inférieur au sexe masculin. Les éléments historiques et textuels que nous apportons dans le dossier de ce numéro pour étayer ce triste constat sont par trop éloquents. Pourquoi un tel mépris ? Les motifs psychologiques sont sans doute déterminants. Comme le rappelle Michel Cazenave (lire pages 44 à 47) à la suite des pionniers de la psychanalyse, l'homme est à la fois jaloux de la jouissance féminine et effrayé par son propre désir de la femme. La sexualité est sans doute au cœur du problème, et les mâles islamiques qui ne tolèrent les femmes que voilées n'ont rien à envier aux Pères de l'Église, qui ne voyaient dans la femme qu'une tentatrice en puissance. Il existe aussi des raisons socio-historiques à cet abaissement de la femme dans presque toutes les cultures, un abaissement auquel les religions ont contribué de manière déterminante. Le culte très ancien de la « grande déesse » témoigne d'une valorisation du principe féminin. Les chamanes des religions premières de l'humanité sont de sexe masculin ou féminin, à l'image des esprits qu'ils vénèrent, comme en témoignent les sociétés orales qui ont survécu jusqu'à nos jours. Mais il y a quelques millénaires, lorsque les cités se sont développées et que les premiers royaumes se sont constitués, la nécessité d'une organisation sociale s'est fait sentir et une administration politique et religieuse est apparue. Or ce sont les hommes qui se sont attribué les rôles de gouvernement. Les prêtres chargés d'administrer les cultes se sont empressés de masculiniser le panthéon, et les dieux mâles, à l'image de ce qui se passait sur terre, ont pris le pouvoir au ciel. Les monothéismes n'ont, à leur tour, fait que reproduire et parfois même amplifier ce schéma polythéiste en donnant au dieu unique un visage exclusivement masculin. Grand paradoxe des religions depuis des millénaires : si méprisée, la femme en est souvent le véritable cœur ; elle prie, transmet, compatit aux souffrances d'autrui. Aujourd'hui, les mentalités évoluent grâce à la sécularisation des sociétés modernes et à l'émancipation des femmes qu'elle a favorisée. Malheureusement, certaines pratiques terrifiantes - ces quinze adolescentes afghanes récemment aspergées d'acide tandis qu'elles se rendaient à leur école de Kandahar - ainsi que des propos d'un autre âge - comme ceux prononcés par l'archevêque de Paris : « II ne suffit pas d'avoir des jupes, encore faut-il avoir des choses dans la tête » - montrent que beaucoup de chemin reste à parcourir pour que les traditions religieuses reconnaissent enfin la femme comme l'égale de l'homme, et gomment de leurs doctrines et de leurs pratiques ces traces séculaires de misogynie.
de Frédéric Lenoir

Miner-février 2009 — Le Monde des Religions


Marie siège de la Sagesse"

dimanche 4 janvier - Texte intégral - ROME, Mardi 6 janvier 2009  -  Benoît XVI a prononcée le dimanche 4 janvier, à l'Angélus.

Chers frères et sœurs,

La liturgie repropose aujourd'hui à notre méditation le même Evangile qui a été proclamé le jour de Noël, c'est-à-dire le Prologue de saint Jean. Après l'agitation des jours passés, avec la course à l'achat des cadeaux, l'Eglise nous invite à nouveau à contempler le mystère du Noël du Christ, pour en saisir encore davantage la signification profonde et l'importance pour notre vie. Il s'agit d'un texte admirable, qui offre une synthèse vertigineuse de toute la foi chrétienne.

Il part d'en-haut : « Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1) ; et voilà la nouveauté inouïe et humainement inconcevable : « Le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous » (Jn 1, 14a). Il ne s'agit pas d'une figure de rhétorique, mais d'une expérience vécue ! C'est Jean, témoin oculaire, qui la rapporte : « Nous avons vu sa gloire, la gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14b). Il ne s'agit pas de la parole érudite d'un rabbin ou d'un docteur de la loi, mais du témoignage passionné d'un humble pécheur qui, attiré par le jeune Jésus de Nazareth, pendant les trois années de vie commune avec Lui et avec les autres apôtres, fit l'expérience de son amour - au point de s'auto-définir « le disciple que Jésus aimait » -, qui le vit mourir sur la croix et apparaître ressuscité, et qui reçut ensuite son Esprit avec les autres. Jean tira une intime certitude de toute cette expérience méditée dans son cœur : Jésus est la Sagesse de Dieu incarnée, il est sa Parole éternelle qui s'est faite homme mortel.

Pour un véritable Israélite, qui connaît les Ecritures Saintes, cela n'est pas un contresens, au contraire, il s'agit de l'accomplissement de toute l'ancienne Alliance : en Jésus Christ parvient à sa plénitude le mystère d'un Dieu qui parle aux hommes comme à des amis, qui se révèle à Moïse dans la Loi, aux sages et aux prophètes. En connaissant Jésus, en étant avec Lui, en écoutant sa prédication et en voyant les signes qu'Il accomplissait, les disciples ont reconnu que toutes les Ecritures se réalisaient en Lui. Comme l'affirme ensuite un auteur chrétien : « Toute l'Ecriture divine constitue un unique livre et cet unique livre est le Christ, il parle du Christ et il trouve dans le Christ son accomplissement » (Ugo di San Vittore, De arca Noe, 2, 8). Chaque homme et chaque femme a besoin de trouver un sens profond à sa propre existence. Et les livres ne suffisent pas à cela, pas même les Saintes Ecritures. L'Enfant de Bethléem nous révèle et nous communique le vrai « visage » de Dieu bon et fidèle, qui nous aime et ne nous abandonne pas même dans la mort. « Dieu, personne ne l'a jamais vu - conclut le Prologue de Jean - : le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui a conduit à le connaître » (Jn 1, 18).

La première à ouvrir son cœur et à contempler « le Verbe qui s'est fait chair » a été Marie, la Mère de Jésus. Une humble jeune fille de Galilée est ainsi devenue le «siège de la Sagesse » ! Comme l'apôtre Jean, chacun de nous est invité à « l'accueillir chez lui » (cf. Jn 19, 27), pour connaître profondément Jésus et faire l'expérience de son amour fidèle et inépuisable. Tel est mon vœu pour chacun de vous, chers frères et sœurs, au début de cette année nouvelle.

Benoît XVI


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le  sage  et  le  saint

La sainteté est le propre de Dieu
Dieu la communique aux hommes à travers son histoire.
Loin d’être un retrait hors du monde, la sainteté de Dieu se manifeste par un engagement renouvelé dans l’histoire.
En Israël, il y avait un lieu unique de sainteté : le Temple de Jérusalem ; dans le Saint des Saints, le cœur du sanctuaire, le grand Prêtre pénétrait, seul, une fois l’an, le jour du « Yom Kipoour », pour un rite de purification du peuple. Ce jour-là, il pouvait prononcer le nom divin, ineffable, terrible !
Aujourd’hui, le temple étant détruit, la sainteté de Dieu est montrée par les conduites du peuple choisi : « Soyez saints, car moi je suis Saint »  Lévitique ch.19,2 et 18 «  Aime ton prochain comme toi-même » et Ézéchiel 18, 5-9 
Repris par Jésus dans Mat. 5,48 « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Pour un chrétien la sainteté n’est pas une perfection, la mort de tout désir comme pour Bouddha, ni à la manière stoïcienne de Sénèque, philosophe , homme politique conseiller de l’empereur en 65 après Jésus Christ, où il écrit dans une lettre à Lucilius : «le sage s’élève jusqu’aux astres, par le chemin du détachement, de la modération et du courage » ; à cette sagesse héroïque St Paul oppose la folie de la Croix, de l’Amour (1 Co 1, 18-25) « car il est écrit : « je détruirai la sagesse des sages, et l’intelligence des intelligents, je la rejetterai. Où est-il le sage ? Où est-il le raisonneur de ce siècle, Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? Puisqu’en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie du message qu’il a plu à Dieu de sauver les croyants ; alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs sont en quête de sagesse, nous proclamons nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs, et folie pour les païens., mais pour ceux qui sont appelés, juifs et grecs, c’est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. »

( à partir de dossiers de la Bible N° 90 p.26.)


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Heureux l'homme qui a trouvé la Sagesse     

Livre des Proverbes 3,13

Soeur Thérèse

Conférence donnée au cours du  2° Campus Missionnaire  le 1 Août 2000 à Barjols

Tel est le titre de ce que je n’appellerai pas conférence, le nom de conférence est un peu pompeux… mais, plus modestement, méditation à voix haute. Ce n’est pas sans une certaine appréhension que j’ai abordé ce thème, car, dans les Proverbes il est aussi écrit: « Qui retient ses lèvres est avisé, qui veille sur sa bouche garde sa vie ». Cependant, grâce à vous, j’ai eu beaucoup de joie à creuser cette Parole de Dieu qui, vous le devinez, n’a pas été choisie au hasard... Vous savez tous ou, vous saurez, que dès notre arrivée à Barjols (en 1995) nous avons été inspirés à ouvrir une « École » que nous avons dénommée «A l’École de la Sagesse » et non pas « une École de Sagesse ».
Pourquoi « à l’École de la Sagesse » ? pour répondre l’invitation de Jésus « Mettez-vous à mon École » et Pourquoi «Sagesse» ? pour bien signifier que le Maître, l’Enseignant est l’Esprit Saint lui-même.
St Paul écrivait « La Sagesse ne peut être communiquée que par l’Esprit de Dieu » : Co. 2, 13-16 et « Daigne le Dieu de N.S.J.C. vous donner un esprit de sagesse et de révélation qui vous le fasse vraiment connaître.» Éphésiens 1, 17 
-
Mais, que recouvre ce mot « Sagesse » ?
A l’heure où beaucoup d’entre nous, de nos contemporains sont en quête de sagesse - c’est une réalité de notre société d’aujourd’hui – et cela, après le succès ou ! la faillite- des idéologies : ces systèmes de pensées qui devaient ouvrir les voies vers le bonheur - nous percevons un attrait, je ne vais pas dire général car il faut toujours éviter de généraliser - pour les « sagesses ».
Je repense à un article de Bruno Chenu dans La Croix du 8 mai 2000, qui évoquait cette réalité moderne: « nous assistons à un retour aux sagesses antiques, aussi bien occidentales qu’orientales. L’important étant dans ces diverses démarches, d’accéder à un mieux vivre, un mieux être.»
- Qu’aurions-nous à dire cela ? Certains d’entre nous, chrétiens ou d’Église, risquent de s’assombrir, voire, se troubler ou s’inquiéter de ce phénomène; une réaction de peur ou de critique peut surgir; mais, ce serait trop facile d’en rester là. Derrière les soupçons et les lamentations, il y a peut-être bien et, à chacun de faire son examen de conscience, une justification du « non-agir », voire d’une incapacité personnelle à oser s’avancer soi-même sur un chemin de croissance et d’exigences ! trop de peurs évitent souvent de nous mettre à l’œuvre.

Revenons à « Heureux l’homme qui a trouvé la Sagesse ». De quelle Sagesse s’agit-il  ?
Il existe beaucoup de définitions et chacun a la liberté d’adopter la sienne. J’aime particulièrement celle donnée par un philosophe de notre temps André Conte Sponville: «La Sagesse :l’Amour joyeux de la vérité ». Amour, joie et vérité…trois couleurs évangéliques ! Ce philosophe se dit athée. Je n’ai pas analysé son athéisme mais, qui sait ! certains athéismes sont peut-être bien justifiés aujourd’hui, vu l’image, le portrait, la réputation que nous faisons ou avons fait, nous chrétiens, à notre Dieu. Aussi, de plus en plus, j’adhère à cette campagne dont Maurice Zundel s’est fait le fervent partisan*2, non pas du « salut de l’homme, mais de celui de Dieu »! L’homme, est sauvé ! C’est fait ! Jésus a tout accompli. Nous sommes « dans le salut », « dans la vie éternelle »…
Que d’ énergies considérables dépensées à vouloir sauver des apparences... je nous encouragerai à sauver « l’Essentiel ». Oh ! bien sûr, ça peut paraître prétentieux de parler de « sauver Dieu » ! mais vous comprendrez dans quel sens j’use de cette expression. Oui, posons- nous la question : qu’avons nous fait de Dieu ? St Paul écrit : « Dieu vous a unis à Jésus-Christ, et il a fait du Christ votre Sagesse. C’est le Christ qui nous rend justes devant Dieu, et qui nous permet de vivre pour Dieu et qui nous délivre du péché. » (1 cor.1, 30)
De quel péché ? Et qu’appelle-t-on aujourd’hui péché ?
Là aussi, nous sommes le plus souvent dans une incroyable confusion, confondant «faute morale » et « péché » et je ne peux m’étendre sur ces notions, toutefois je confirmerai et appuierai cette définition du « péché » donnée par St Isaac le Syrien au 7° siècle : « Le péché, c’est de ne pas faire attention à la Résurrection et à la puissance de vie qu’elle nous donne».
Chrétiens, notre responsabilité est immense ! Par notre ignorance et nos tricheries, n’avons nous pas mis Dieu en péril ? (je ne dis pas ça pour culpabiliser, nous ne sommes pas responsables de ceux qui nous ont précédés, qui eux-mêmes ont transmis ce qu’ils ont pu, avec les lumières qu’ils ont eues). Il me semble qu’aujourd’hui, nous sommes invités, nous, disciples de Jésus, (car un chrétien est d’abord une disciple de Jésus et non seulement un croyant) nous sommes invités à retrouver notre véritable source de Sagesse, celle qui coule toute pure de Jésus, et qui est Jésus lui-même.
Je lance une invitation pressante à nous tourner vers Jésus et, comme Pierre, Jacques et Jean sur le mont de la Transfiguration, à ne plus voir que Jésus seul, à laisser décanter sa véritable image, à dépoussiérer Son message et Le dépouiller de toutes les interprétations morales, dogmatiques, égoïstes ou même théologiques. Je considère comme un scandale pour notre époque lorsque nous continuons à nous « servir » de la Croix du Christ*1, de son sacrifice pour annoncer la « Bonne Nouvelle ». Avec tout le progrès des sciences psychologiques et humaines développées à notre époque, je ressens comme une honte et une indignité que nous puissions encore user de ce grand symbole qu’est la Croix pour tenter de toucher le cœur des hommes.

 Rappelons nous que, ce que St Paul et d’autres ont voulu faire en brandissant la Croix du Christ comme source de salut, s’inscrit dans un contexte historique et aujourd’hui, je ne plus faire mienne cette voie d’évangélisation. Non que je veuille adapter l’Évangile au monde… (ce qui serait dangereux et tout aussi indigne) mais, si je me réfère directement à l’Évangile, nulle part je vois que Jésus ait parlé de « sa croix » pour faire pression sur les hommes ? Lorsqu’Il invite ceux qui veulent Le suivre à « prendre leur croix », ce n’est pas là insinuation et prédiction pour les disciples à aller vers un avenir de souffrances….en quel lieu sur terre serait-on à l’abri de l’épreuve ? quel chemin d’homme peut-il prétendre faire l’économie de la difficulté ? Simplement, Jésus demande de « prendre » notre croix, notre fardeau de vie… de le prendre en responsabilité et liberté et non de le tirer comme un boulet…Jésus désire à sa suite des hommes debout et en marche ne subissant rien de leur vie et redisant après et avec Lui : « Ma vie , personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même. » St. Jean 10, 18 Au jeune homme riche: « Il le regarde et il l’aime ». Point. Rien d’autre qu’un: « si tu veux. » Comment pourrions-nous être contagieux et porteurs de Bonne Nouvelle en continuant à insinuer que nous avons crucifié Jésus ? Dieu lui-même ne s’est pas permis de faire un tel chantage. C’est comme si une mère disait à son enfant : «tu te rends compte de tout ce que j’ai fait pour toi, après tous les sacrifices que j’ai faits! » L’amour ne s’achète pas, ne se mérite pas. Dieu nous a aimés…et « l’amour a ses raisons que la raison ne comprend pas » et, dans le grand poème d’amour qu’est le Cantique des cantiques de la Bible, au dernier chapitre nous lisons: « Quiconque voudrait acheter l’amour, n’en récolterait que mépris ».
Ce qui nous a sauvés ce n’est ni la Croix, ni les sacrifices - le jour de Noël, l’Église dans sa liturgie donne ce texte de l’épître aux hébreux et met sur les lèvres de Jésus ces paroles: « tu n’as voulu ni sacrifice, ni holocauste, tu m’as façonné un corps et j’ai dit : voici je viens. » - c’est toute la vie de Jésus, tout son être dans toutes ses fibres, et cela dès sa conception jusqu’à sa mort, que Jésus a vécu « l’intégralité et l’intégrité » de son amour pour le Père et les hommes. Ste Gertrude et tant d’autres saints avec elle disait: «seul l’amour sauve ». Nos frères orientaux le disent souvent mieux que nous. Eux, n’ont pas disséqué ni saucissonné la vie de Jésus…Et non seulement les Pères de l’Église ont affirmé cette réalité mais, nous pouvons même remonter jusqu’au « grand Père Syméon » tenant dans ses bras cet enfant de 40 jours et proclamant: « Maintenant ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, car mes yeux ont vu Ton Salut » Luc 2, 29…et cela sous l’inspiration spéciale du Saint-Esprit. Luc 2, 26 – 27
Dieu ne peut pas, ne voudrait certainement pas nous émouvoir ou nous gagner à son Amour en nous accusant de L’avoir cloué sur la Croix. Ce serait indigne de Lui. Croire cela, n’est-ce pas Lui faire injure ? Simplement, Il nous a aimés, bien plus, Il nous aime, sans s’imposer. Paul Evdokimov écrit: « Dieu peut tout, sauf : contraindre l’homme à L’aimer. »
La Sagesse n’est pas un but, elle est Quelqu’un : Elle est « cet amour joyeux de la vérité ».

 

Non pas n’importe quelle vérité, non pas « nos vérités », mais celle de Celui qui seul, a pu se définir comme étant « le chemin, la vérité et la vie ». «Si vous demeurez dans ma Parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libèrera. » Jean 8,31-32
Ce qui nous sépare du bonheur, de la liberté, du salut ou de la béatitude, ce sont nos mensonges et nos illusions, nos faux semblants, nos tricheries. D’abord avec nous mêmes, puis avec les autres et même avec Dieu. La Vie éternelle ce n’est pas demain, ni plus tard après la mort, « la Vie éternelle c’est qu’ils te connaissent » dit Jésus. Connaître le Père, c’est commencé, ça peut commencer… Dès que je mets une distance entre le maintenant et le demain, je quitte le réel. Je ne sais rien de demain, je n’ai plus prise sur hier…je n’ai que ce « ici et maintenant », cet « Aujourd’hui » à saveur biblique…et c’est maintenant que je puis être heureuse, le reste est illusion.. Le salut n’est pas une autre vie, ni un paradis, ni une récompense. Le salut c’est « la vérité de la vie ». Bien sûr, nous ne vivons pas spontanément en cette vérité; en venant au monde nous ne naissons pas libres, mais nous avons la possibilité en tant que créatures vivantes de découvrir cette vérité, d’aller vers la lumière. « Celui qui fait la Vérité vient à la Lumière » Jean 3, 21 Faire la vérité, c’est actif, c’est une œuvre, c’est peut-être tout notre travail de créatures et, par la vérité, accéder de plus en plus lucidement, consciemment, joyeusement à l’éternité. Maintenant, n’allons pas rêver notre sagesse !  A vouloir être trop sages on finit par …nous connaissons tous le « qui veut faire l’ange fait la bête… » Être sage ne signifie pas que nous le soyons comme des images… mais « être dans la vérité de notre être» (anecdote du maître staretz et du disciple dans le désert)
Posons–nous la question : Quelle connaissance avons-nous de Jésus, de son message de vie, de liberté ? « Pour vous, qui suis-je ? » demandait Jésus… Connaissons nous notre Évangile ?
Au nom de Jésus, de son honneur, de sa gloire, redonnons-Lui le droit d’être notre Sagesse, d’être « Qui Il est » et non ce que nous avons réduit de Lui. Accordons-Lui ce cadeau, cette joie, ce bonheur. Et permettons-Lui d’être notre Bonheur à tous, d’être Celui qui nous met au large, Celui qui est le Grand Vainqueur. Retournons à Son Évangile, à Son Message dépouillé de toutes les interprétations qui l’ont englué au cours du temps et de l’histoire. Revenons à l’origine du message, celui transmis par les anges aux bergers : «Aujourd’hui je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout un peuple, il vous est né un Sauveur, c’est le Christ, le Seigneur.» Le Christ a tout sauvé. Le Royaume de Dieu est là, en nous, parmi nous.

1/ Je ne parle pas de ce que le mystère de la croix peut évoquer pour des chrétiens initiés et de tout le poids de compassion dans lequel nous pouvons puiser pour réconforter, rejoindre et
encourager ceux qui traversent de grandes souffrances.        
                            
2 / "le problème que nous sommes" de Maurice Zundel. Editions le Sarment

 


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« Église condamnée à renaître"

André Gouzes
Dans les premiers temps du christianisme, évêques et prêtres se voyaient salués du titre d’anciens, indépendamment de leur âge, on vénérait ainsi ceux qui avaient de l’expérience et que l’on considérait par conséquent comme gardiens de la sagesse. Aujourd’hui, ce sont les jeunes qui sont vénérés, parce qu’ils s’adaptent avec plus de souplesse, qu’ils ont plus de connaissance.
Mais savoir n’est pas sagesse.

A. Gouzes : les savoirs se renouvellent si rapidement aujourd’hui que les plus performants deviennent à leur tour, très vite des obstacles. Cela est également vrai en théologie. En vingt ou trente ans, nous avons vu se succéder toute une ronde de théories exégétiques ou philosophiques qui devaient prétendument renouveler nos approches théologiques de manière définitive, elles se sont toutes épuisées les unes après les autres, comme les vagues sur la grève

C’est vrai que la sagesse n’a pas le savoir, car elle n'a qu’un savoir: elle a une expérience, c’est-à-dire une connaissance éprouvée, purifiée, vérifiée dans le temps ; une connaissance qui naît pas d’un objet, mais du mystère même de l’être : de la vie, de la mort et de l’amour. La sagesse est une science de l’existence, liée à la durée. Elle passe par l’épreuve intérieure et met en relation avec une totalité. Elle tend à l’unité. La vie est unité ; la vie est toujours totalité. Les savoirs sont de l’ordre du particulier, tandis que les sagesses relèvent de la globalité du vivant. C’est pour cette raison qu’elle développe un autre entendement, non pas analytique, mais intuitif.
On ne peut connaître Dieu que par sa sagesse.
Dans la Bible, c’est à travers les événements, à travers ce qu’on a coutume d’appeler couramment « le plan de Dieu » ou l’histoire du salut, que les Anciens découvrent progressivement la sagesse divine.
Cela sous-tend quelque chose qui est d’avant et d’après les incidents qui sont inscrits dans le temps, quelque chose de plus grand et de plus intérieur de l’organisation du monde avec ses soucis de gestion et d’efficacité, quelque chose qui procède des mystérieuses profondeurs de l’homme, de son histoire et de ses connaissances.

Pour les Anciens, le sage est précisément celui dont le regard embrasse une totalité, d’un point de vue toujours élevé. Dans les légendes et les vieux récits, le sage habite toujours la montagne, ou du moins la gravit, car il prend de la distance, de la hauteur et la distance étaient l’âme de la beauté ; je crois que c’est l’âme de la vérité.
Les prêtres aujourd’hui en ministère, dans la pénurie et la grande fatigue où de toute évidence ils se trouvent, de plus en plus accablés qu’ils sont par la fonctionnalité de leur tâche, ont toujours moins la possibilité de prendre du recul, de se donner du temps pour la réflexion, la prière et l’étude ; de la sorte, ils n’ont plus la possibilité d’exercer cette fonction de sagesse qui pourtant devrait être un trait essentiel de leur mission.
Pour cette raison, nous n’avons cessé de le dire, il semble urgent de permettre à des laïcs, et pourquoi pas de jeunes retraités appréciés pour la droiture de leur vie, leur discernement et leur foi, dans lequel la tradition pourrait reconnaître ces viri probati, les « hommes éprouvés » appelés par tant de voix, d’accéder au ministère de la Parole et de l’eucharistie. Ils pourraient pour le bien de petites communautés à taille humaine, être les conseillers et les sages dont les minorités chrétiennes clairsemées dans un quartier ou un village ont le plus grand besoin.
En leur confiant ce ministère on déchargerait la fonction sacerdotale de tout cet aspect d’organisation auquel doit faire face celui qui est obligé de célébrer 5 ou 6 messes par dimanche.

Éditions: Cerf Philippe Baud :


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Les religieux invités à "repartir du Christ"

La congrégation pour les Instituts de vie consacrée publie une instruction pour renouveler l'engagement des religieux dans la société contemporaine.

5 ans après l'exhortation apostolique post-synodale "vita consecrata" la Congrégation pour les instituts de vie consacrée a voulu rappeler les conclusions du synode pour les religieux et les confirmer dans la perspective jubilaire de Novo Millennio ineunte . Intitulée Repartir du Christ, l'instruction de 60 pages met au premier plan le "besoin d'une relance spirituelle" pour jeune "vie saisie par le Christ."

L'écoute renouvelée de la Parole de Dieu"

L'intimité avec le Christ à travers la prière et la contemplation, sa rencontre lors de l'eucharistie, telles sont les voies de cette identification au Christ  à laquelle "les personnes consacrées sont appelées par vocation;" mais l'instruction rappelle que la tâche confiée aujourd'hui aux communautés religieuses est de "développer la spiritualité de communion. "Y compris à l'intérieur des communautés elles-mêmes, souvent multiculturelles et multinationales. Et confrontées à des difficultés comme le "vieillissement de l'institut, les structures inadaptées, l'incertitude quant à l'avenir.

Cette spiritualité de communion doit à la fois rapprocher encore plus les divers instituts religieux et renforcer leur coopération, permettre aux instituts anciens de "s'enrichir grâce aux échanges de dons avec les fondations qui naissent en notre temps, associer toujours plus les laïcs et sujet toujours sensible permettre d'être en unité avec les pasteurs, le magistère du Pape et des évêques.

Ce dernier souci est souligné par le rappel qu'une bonne part de la recherche théologique, de l'enseignement et des médias catholiques sont entre les mains de religieux.

"Repartir du Christ" rappelle enfin la dernière partie de l'instruction c'est pour la vie consacrée s'engager au service de ses frères dans lesquels on reconnaît le visage du Christ.  Le service des plus pauvres est aussi vaste que le monde. Il exige une novelle imagination de la charité: l'assistance n'est plus considérée comme suffisante, on cherche à déraciner les causes qui donnent  naissance au besoin. Le document du Vatican souligne comment les Instituts anciens ont été capables d'abandonner les sécurités du déjà connu pour se lancer vers des milieux et des occupations qui leur étaient inconnus.

L'Evangélisation nécessite inculturation et dialogue.

Mais tout cela n'a de sens que dans l'annonce du Christ au peuple.

Qui nécessite un grand effort d'inculturation, de dialogue œcuménique et interreligieux, notamment la connaissance mutuelle avec les milieux monastiques d'autres religions ou avec les non-croyants.

L'instruction ne fait pas l'économie des problèmes du moment, comme par exemple le risque de voir disparaître l'originalité évangélique d'œuvres devenues complexes à diriger ou le danger de la prédominance

De projets personnels sur les projets communautaires.

Il est opportun de rappeler souligne ainsi le texte,  que les saints fondateurs et fondatrices ont su répondre par une créativité charismatique authentique aux défis et aux difficultés de leur temps;

Outre cet appel à la créativité, une attention particulière est portée à la pastorale des vocations, notamment à travers des communautés accueillantes et capables de partager leur idéal de vie avec les jeunes et à la formation permanente.

La réalité sociale change selon un rythme souvent frénétique et les personnes consacrées doivent être préparées à apprendre toute leur existence et à se laisser former par la vie quotidienne.

Autrement dit, les religieux et religieuses du 3° millénaire sont appelés à s'armer d'une spiritualité forte, à se former en permanence, à s'inculturer, pour faire face à la diversification de leur mission: annoncer le Christ en servant l'humanité dans toutes les cultures.

La Croix 17 Juin 2002


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La violence dans l’Église
Camilo Maccise

Le prêtre mexicain Camilo Maccise appartient à la communauté des Carmes déchaussés, dont il a été le supérieur général jusqu’à tout récemment. Également président de l’Union des supérieurs généraux  (USG) pendant six ans, il a quitté ce poste en l’an 2000. Bien au fait de ce qu’il appelle la « violence » du Vatican, il plaide pour un changement de culture au sein de la Curie romaine.

Il peut paraître insensé de parler de violence au sein de l’Église. La violence consiste à faire usage de la force physique, morale ou psychologique pour imposer ou contraindre, et ce devrait être chose impensable dans la communauté de croyants fondée par Jésus, le Prince de la Paix, qui est venu nous libérer de tout esclavage ou oppression, a bâti son Église sur l’amour de Dieu et du prochain, et nous a commandé d’aimer nos ennemis.

Mais l’Église est un pèlerin, un signe pauvre et imparfait du Royaume de Dieu sur la terre. En son sein comme à l’extérieur, elle a usé de violence pour résoudre les conflits qui, inévitablement, opposent hiérarchie et base, dimensions institutionnelles et dimensions charismatiques, conceptions traditionnelles et approches nouvelles de la foi, théologiens et Magistère, Église et société. Tout au long de son histoire la violence, loin de se manifester dans des cas exceptionnels et isolés, a fait partie d’une culture de l’autorité oublieuse du service évangélique (Mt 20, 24-28). Aujourd’hui l’Église n’utilise plus la contrainte physique; mais d’autres formes de violence morale et psychologique continuent d’y accompagner l’exercice d’un pouvoir qui nie à la fois une diversité légitime et le dialogue mis en valeur par l’Évangile. J’ai intimement vécu, spécialement de la part de certaines instances romaines, cette violence multiforme.

L’une de ses manifestations est le centralisme, qui tend à concentrer la prise de décision entre les mains d’une bureaucratie ecclésiastique isolée de la vie quotidienne des croyants. Signe d’une incapacité d’accepter le pluralisme, c’est une manière de traiter, à tous les niveaux (des conférences des évêques aux groupements laïques), les croyants comme des enfants à protéger et à discipliner en fonction de critères à courte vue.

Depuis le concile Vatican II, le centralisme a entravé  mouvement en faveur de la collégialité, tendant vers une Église gouvernée par les évêques, avec le pape et sous son autorité. Même les synodes des évêques convoqués à intervalles de quelques années sont encadrés par la Curie, qui surveille étroitement le déroulement des discussions et les documents qui en résultent. Au cours de ces rencontres, des évêques ont déploré la violence des contrôles appliqués par des néo-conservateurs imprégnés d’une théologie abstraite et anachronique. Ceux qui osent critiquer ces autorités par amour de l’Église, et toujours en communion avec elle, sont menacés, condamnés, accusés de se substituer au Magistère, de mener une activité pastorale parallèle voire de s’engager dans la création d’une Église parallèle.

Ce centralisme est dicté par une bonne dose de méfiance et de peur. Comment expliquer autrement qu’il faille parfois plus de trois ans pour approuver des textes liturgiques traduits par des experts et acceptés à l’unanimité par les conférences des évêques locales ?

C’est aussi la peur d’une perte de mainmise qui a amené la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à proposer, initialement lors du Synode sur la vie consacrée, que le Vatican confirme l’élection des supérieurs généraux par leurs communautés respectives. Devant le tollé, la Congrégation a demandé à des théologiens en qui elle avait confiance de publier des articles à l’appui de cette idée afin de créer un climat propice à son acceptation.

Le centralisme de la Curie ferme également l’accès direct au pape à certains groupes qui y ont droit. Ainsi les dirigeants de l’Union des supérieurs généraux  (USG) et de l’Union internationale des supérieures générales (UISG) tentent-ils vainement depuis 1995 d’obtenir une audience avec Jean-Paul II. Alors que des organisations de moindre importance, et même des personnes qui ne se réclament pas de la foi et n’appartiennent pas à l’Église, ont obtenu une rencontre, des refus systématiques ont été opposés aux représentants de plus d’un million de religieux consacrés, voués à toutes les formes d’évangélisation et d’activité pastorale.

Une autre forme de violence, l’autoritarisme patriarcal, exclut les femmes d’une pleine participation à l’Église. Il est étonnant, par exemple, que les religieuses contemplatives n’aient jamais été consultées pour la rédaction du document sur la clôture, Verbi Sponsa. Aucune des 49 associations ou fédérations de Carmélites déchaussées où sont regroupés 755 couvents et plus de 11 000 religieuses n’a été approchée. D’autres grands ordres contemplatifs ont été exclus de la même manière. On n’a sollicité des avis que dans un petit nombre de couvents traditionalistes. En fin de compte la législation, établie par des hommes dont la connaissance de la vie des religieuses contemplatives est toute théorique, pose à ces dernières des exigences qui ne sont pas faites aux hommes, et illustre la violence qui s’exerce dans la discrimination pratiquée contre elles. Comme en des temps plus anciens, elles sont traitées en mineures incapables, sans supervision masculine, de demeurer fidèles à leur identité de cloîtrées.

D’autres formes de violence et d’abus d’autorité sont devenues habituelles. Ainsi, on garantit l’anonymat aux dénonciations envoyées à Rome, généralement par des gens à tendances conservatrices. Traduit devant un tribunal composé de juges romains, l’accusé ne peut citer de témoins à décharge. Jamais les délateurs n’ont tenté de le rencontrer avant de poser leur geste. Et jamais, s’il réussit à établir son innocence, aucune lettre d’absolution de leurs calomnies ne lui est envoyée.

Les membres de la Curie qui agissent de la sorte se drapent dans un pouvoir sacré. Aucune accusation d’insultes et de diffamation ne peut être portée contre eux. Ils exigent une soumission aveugle et répètent que ces causes relèvent de « la compétence exclusive du Saint Siège ».

Le dogmatisme est une autre forme de violence dans l’Église. Il procède du refus d’admettre qu’il est impossible, dans un monde pluraliste, de postuler un unique point de vue religieux, culturel et théologique. À défaut de discerner entre l’essentiel de la foi chrétienne et des formulations théologiques empreintes de relativité, le dogmatisme s’en tient à une seule approche théologique, la traditionnelle, fondée sur des postulats philosophiques et culturels d’un autre âge. Souvent, l’Église essaie d’imposer ces vues en faisant abstraction du pluralisme des sociétés actuelles.

Depuis Vatican II, une répression violente vise assidûment l’exégèse moderne, les nouvelles approches de théologiens d’Europe, d’Afrique ou d’Asie, la théologie de la libération, les spiritualités aborigènes… Contre les théologiens, on n’y va pas par quatre chemins : pour commencer, des conservateurs ou ultra-conservateurs, sinon des ennemis personnels des accusés, envoient un « signalement » à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, assurés de trouver auprès d’elle protection, confidentialité et soutien inconditionnel.  La Congrégation fait lire les textes suspects par des « experts » non moins anonymes, qui à aucun moment ne seront mis en présence du suspect. Il revient à ce dernier de répondre aux accusations, souvent étayées seulement par quelques phrases isolées de leur contexte, et d’établir son orthodoxie. Si ses éclaircissements sont satisfaisants, il ne reçoit presque jamais de lettre reconnaissant les torts des experts, et ses accusateurs ne subissent ni reproche ni sanction en vertu du droit canon pour avoir menti. Ce dogmatisme violent déprécie les travaux légitimes des exégètes et des théologiens, dont beaucoup, par crainte, en viennent à l’autocensure.

L’élimination des tensions et des conflits dans l’Église ne résultera pas plus de la violence dogmatique et centralisatrice que du rejet de l’autorité et des vérités fondamentales de la foi et de la morale. L’Église doit dépasser le modèle de christianisme néo-conservateur qui cherche à s’affirmer en ce début du troisième millénaire, et s’orienter vers la mise en œuvre concrète du modèle redécouvert par Vatican II : celui d’une Église de communion, définie comme Peuple de Dieu et sacrement du Royaume, où dialogue et communication, unité et diversité ont leur place, dans un climat de liberté engendré par l’amour et l’acceptation mutuels, source de communion à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église.

Par-dessus tout, l’Église a besoin d’une attitude de dialogue et d’écoute grâce à laquelle, à la lumière de l’Évangile, elle trouvera la vérité en son sein et dans ses échanges avec les Églises chrétiennes, les autres religions et la société en général. Vatican II l’y appelle dans la constitution pastorale Gaudium et Spes (92) sur l’Église et le monde moderne. La mission de répandre la lumière de l’Évangile sur l’ensemble de l’humanité y est présentée comme « le signe de cette fraternité qui rend possible un dialogue loyal et même le renforce ». Pour remplir cette mission, poursuit le texte, il nous faut « qu’au sein même de l’Église nous fassions progresser l’estime, le respect et la concorde mutuels,  dans la reconnaissance de toutes les diversités légitimes ». Saint Augustin est cité à l’appui : « Unité dans le nécessaire, liberté dans le doute, en toutes choses, la charité. »

Outre le dialogue s’impose une décentralisation de l’autorité propice à une connaissance directe des obstacles et problèmes qui surgissent à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église. Ainsi pourront s’épanouir un sentiment de responsabilité mutuelle et une pratique de la collégialité épiscopale, tandis que rétrécira l’espace accordé aux attitudes inquisitoriales alimentées par des accusateurs pusillanimes, qui attaquent sous déguisement, s’érigent en détenteurs d’une « vérité objective » et craignent la confrontation directe. Leur peur est, fondamentalement, peur de la vérité et de la vraie liberté, peur de la vérité qui nous rendra libres (Jn 8, 32).

Dans son encyclique Ut Unum Sint (1995), à portée œcuménique, Jean-Paul II parle « de la mission confiée à l’ensemble des Évêques, eux aussi "vicaires et légats du Christ" » ajoutant que « l’Évêque de Rome appartient à leur "Collège" et [qu’]ils sont ses frères dans le ministère ».

De nouvelles formes d’organisation des services dans l’Église ne sont pas seulement nécessaires pour des raisons œcuméniques; elles sont urgentes pour l’Église catholique elle-même. Dans son ministère, le pape devrait recevoir l’aide immédiate des conférences des évêques plutôt que de la Curie romaine, dont les pouvoirs de décision sont devenus excessifs. C’est pourquoi, dans l’Église, des leaders réclament de plus en plus vigoureusement que les présidents des conférences des évêques soient les conseillers du pape. En parlant avec eux, il serait mieux éclairé sur les difficultés auxquelles l’Église fait face dans diverses sphères relevant d’elle, de la société et de la culture.

Ce dialogue contrebalancerait le centralisme et le légalisme de la Curie romaine, qui provoque des tensions et des conflits en essayant d’imposer une uniformité rigide au nom d’une fausse conception de l’unité. Il faut venir à bout de cette violence.

(Ce texte est d'abord paru en espagnol dans Testimonio, la revue bimestrielle de la Conférence des Religieux du Chili, puis en anglais dans The Tablet)

Traduction Johanne Archambault


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Pour un monachisme authentique

Article de Mgr Joseph Powathil, président de la conférence épiscopale indienne appartenant à l'Eglise de rite syro malabar -  doc. Catholique 19 mars 1995

Une crise de crédibilité :

On dit que quand il y a de petites réparations à faire sur une machine, on appelle le technicien mais, quand il s'agit d'une panne majeure, il faut faire appel à l'ingénieur!

La vie de l'Eglise en général, et la vie religieuse en particulier, font face aujourd'hui à des défis majeurs à une échelle inconnue jusqu'ici dans 'l'histoire. Peut-être pouvons-nous dire qu'il y a une crise de crédibilité de la vie religieuse dans l'Eglise comme à l'extérieur de l'Eglise.

A l'intérieur de l'Eglise il y a déclin des vocations à la vie religieuse dans les anciens territoires chrétiens, et même en d'autres lieux, il y a beaucoup d'insatisfactions en ce domaine.

De l'extérieur de l'Eglise beaucoup critiquent la vie religieuse aussi bien que l'Eglise.

La confiance dans le leadership religieux et celui de l'Eglise s'étiole rapidement dans l'esprit des membres de la génération présente. Peut-être que les médias ont joué un rôle  dans la création de préjugé mais dans beaucoup de pays le fait est indéniable.

Le monde post-moderne et post  -chrétien, ne comprend pas le langage que nous parlons.

Nous-mêmes ne comprenons pas très bien ce monde et nous ne prenons pas en compte les besoins réels de ce temps. C'est pourquoi nous nous contentons de bricoler, le renouvellement de la vie religieuse et de la vie de l'Eglise tout en continuant nos programmes habituels. Mais ce qui est réellement nécessaire c'est de repenser radicalement notre ordre du jour.

La génération post- moderne cherche l'expérience de Dieu dans les religions orientales et exige une spiritualité authentique. Dans un livre férocement critique du travail missionnaire en Inde, un journaliste célèbre nous a récemment posé une question pertinente:" Avec tout l'argent que les chrétiens dépensent avec les publications et les institutions qu'ils possèdent, quand ils convertissent les gens, en font-ils des personnes plus "spirituelles"? Les religions comme l'hindouisme, et le bouddhisme ont un sens profond du spirituel. Elles respectent infiniment la figure du mendiant humble, oublieux de soi et centré sur Dieu. De telles personnes font de leurs Ecritures sacrées le centre de leur vie et trouvent leur accomplissement dans l'adoration de Dieu. Ce sont des religieux comme eux que le peuple recherchent et admire.

Les chemins sans issue.

De leur côté nos congrégations religieuses multiplient leurs services et augmentent  leur efficacité avec l'aide des technologies modernes. Quand nous évaluons la vie religieuse, nous ne posons même pas les bonnes questions. Nous nous occupons d'étendre notre champ de services et nous essayons de répondre à des questions apparemment plus importantes, comme le féminisme. Mais ce n'est pas cela qui va augmenter notre crédibilité.

En même temps, il y a des hommes d'Eglise qui sont fascinés par la popularité des religions orientales et qui ne demandent qu'à utiliser leurs techniques et leurs Ecritures pour essayer de créer une espèce d'expérience psychologique pour notre peuple et les autres. Cela est malheureux et ne nous aide en rien.

C'est la foi qui est mise de côté dans les centres où de telles expériences ont lieu.

 

Retour aux sources véritables:

Nous n'avons donc d'autres alternatives que de retourner à nos propres solides traditions, à nos propres sources originales. Au cours du 1° millénaire, la vie religieuse était destinée à donner une intense expérience de Dieu et un témoignage au monde, crédible et basé sur l'évangile et la sainte Tradition.

Cette pratique mise en œuvre en Orient mais utilisée aussi dans toutes les Eglises, maintenait la dimension verticale, contemplative eschatologique de la vie chrétienne au centre de la scène.

Le moine était un modèle privilégié de sainteté dans l'Eglise ancienne. Mieux encore, les Eglises orientales elles-mêmes étaient appelées "communautés monastiques" à cause de l'influence dont jouissait le monachisme sur toue la vie des Eglises et à cause de l'accent que mettaient ces Eglises sur la dimension eschatologique et contemplative.

"Notre tâche dans la nouvelle Evangélisation", disait un auteur récemment, "n'est pas d'observer une nouvelle anthropologie théologique, mais de vivre selon celle qui a été élaborée." Nous devons présenter au monde la vie monastique actuelle authentique comme une proposition culturelle sérieuse. Nous devons "rétablir le monachisme au cœur de l'Eglise aujourd'hui, à l'Est comme à l'Ouest".Le monde post-moderne ne peut être attiré que par quelque chose de radicalement différent de ses modèles de consommation, individualistes et superficiels. Seul le monachisme chrétien peut lui donner l'authenticité véritable et la communion qu'il recherche désespérément.

Le retour au monachisme aura certainement un impact positif sur l'œcuménisme, parce que c'est un retour à la source commune des Eglises de l'Orient et de l'Occident- la Bible est la sainte Tradition. Ceci est plus particulièrement vrai des Eglises orientales catholiques et orthodoxes. Le monachisme a été la forme privilégiée de la vie consacrée dans les Eglises orientales. En fait, nos frères Orthodoxes sont scandalisés par la multiplicité des ordres et congrégations religieuses dans les Eglises catholiques orientales.

La vie consacrée doit être liturgique et ecclésiale.

L'Eglise est fondamentalement une communauté eucharistique, une communauté liturgique.

C'est dans la célébration de l'Eucharistie que l'Eglise est formée et se manifeste devant Dieu et le monde. La vie monastique est entièrement tissée autour de ce centre. La vie du moine est pleine de liturgie, toute sa prière s'inspire de la liturgie et le place dans le dynamisme de l'Eucharistie. C'est la raison pour laquelle le monachisme a enrichi la liturgie et la vie liturgique des fidèles. Quand le monachisme était absent, la vie liturgique en a souffert. Peut-être que l'absence de monachisme explique la superficialité du renouveau liturgique dans beaucoup d'endroits.

Le chrétien est un membre de l'Eglise et il doit vivre une vie pleinement ecclésiale s'il veut être vrai par rapport à son engagement de baptême. En ceci aussi la vie monastique offre un exemple et une inspiration à tous. Le monachisme a toujours été au cœur de l'Eglise et n'a jamais eu de doute concernant sa relation à l'Eglise locale et universelle. Le moine, laïc ou clerc, était un véritable "ecclésiastique" dans le sens originel du terme. Pour lui, il n'y avait pas d'autre manière d'être chrétien. Sa spiritualité était pleinement ecclésiale et donc pleinement liturgique. Le rythme de la vie monastique était le rythme de la liturgie, de la vie de sa propre Eglise individuelle.

La crise interne de l'Eglise est principalement ecclésiologique et spirituelle.

Le rétablissement du monachisme dans toute sa radicalité à l'intérieur de l'Eglise corrigera de la manière qu'il faut l'actuelle tendance à l'individualisme et à la superficialité à l'intérieur de l'Eglise. La crise de crédibilité expérimentée par l'Eglise dans le monde doit être dépassée en mettant l'accent sur la nature charismatique et spirituelle de l'Eglise Ici aussi, le monachisme semble être la seule alternative, la manière de restaurer la dimension verticale , contemplative et eschatologique de l'Eglise.


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Du Bouddha au Christ

Anne Desmottes a suivi un chemin d’unification intérieure au carrefour des religions 

Née au Vietnam, elle a baigné les 20 premières années de sa vie dans un bouddhisme populaire et quotidien. Trois fois par jour sa mère allumait les baquettes d’encens, s’inclinait devant l’autel de la maison où trônait au milieu des fleurs et des photos d’ancêtres la statue de Bouddha. Je me souviens, dit-elle au retour de l’école de cette atmosphère de paix et de respect qui régnait chez nous. Comme un appel, je m’en rends compte aujourd’hui, à revenir en soi-même. Déjà, la quête de Dieu était en moi.

.plus tard mariée à un militaire de carrière en France, je voulais suivre ce Christ qui avait vécu pour l’amour. ; j’ai été baptisée à 30 ans, à Brest. Peu avant, un prêtre m’a dit : » vous êtes venue de l’Orient et vous êtes habitée par un feu. Ne le laissez pas s’éteindre. Au confluent de l’Orient et de l’Occident, vous avez une mission. »

A chaque étape de ma foi, quelqu’un m’a tenu la main ; revenue en région parisienne, c’est un bénédictin Benoît Billot , engagé dans la Dialogue interreligieux monastique, qui m’a aidée à me réconcilier avec mes origines, en me faisant découvrir le zen, cette méditation venue d’Orient, celle-là même que j’avais vu ma grand-mère enseigner dans le village. J’ai appris à travailler le souffle, à prier par le corps avec la danse méditative sacrée et dans cette recherche d’un Dieu intérieur à nous-mêmes, j’ai découvert la prière du cœur, venue de l’Orient chrétien.

Aujourd’hui, je suis chrétienne, mais enrichie de tout ce que j’ai reçu du Bouddhisme et de l’Orient chrétien. J’anime des groupes à la Maison de Tobie, un lieu où se développent des voies diverses de recherche spirituelle. Pour tout cela, j’ai besoin du Christ, de le rencontrer dans le silence et dans l’eucharistie. Il me donne tout le temps soif : soif d’unité.

Revue Prier Janv.2005 Pour approfondir en théologie


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4 regards féminins sur le sacerdoce.

Elle lie ensemble les aspects complémentaires du sacerdoce du Christ dans son Eglise et dans le monde. Il y a bien les sacrements de l’Eglise et elle-même, l’Eglise est sacrement de la présence de Dieu dans le monde, avec la place certaine et irremplaçable du sacerdoce ministériel des diacres, des prêtres et des évêques.

Il y a aussi l’aspect du règne de Dieu et de son Christ, le Seigneur Jésus, dans la création, là où les laïcs font rayonner leur vocation baptismale dans tous leurs engagements. L’auteur cite à propos de la vocation baptismale cette parole de Jean Paul II : être chrétien représente plus que d’être évêque, même de Rome !

Aujourd’hui, il va falloir oser reprendre la réflexion sur l’ensemble du sacerdoce pour que la proclamation de l’Evangile en soit renouvelée. Ce sera dans une recherche patiente et dans la fidélité à l’Esprit Saint qui nous guide. Elle propose de faire attention aux points suivants :

Il y a une harmonie profonde entre le sacerdoce des laïcs, hommes et femmes, et le sacerdoce ministériel des prêtres ; Mais il y faut la démarche de foi où l’on reconnaisse que par le prêtre, le Christ se rend plus proche de la communauté chrétienne qui Le reconnaît et le célèbre. Sans cette conviction, il n’y aura pas de la part de Dieu le don des prêtres !

Il y a aussi à cheminer lentement vers une saine considération de la sexualité du point de vue anthropologique et théologique : c’est ensemble que l’homme et la femme sont image de Dieu. Comment en parler toujours mieux dans l’Eglise ? Pour la place de la femme, il ne s’agit pas de promouvoir une égalité des droits entre hommes et femmes. Il y a une qualité de la réalité féminine qui a de la valeur pour manifester Dieu et son Christ. L’homme et la femme sont symboliquement les deux mains de Dieu ! L’Esprit Saint va nous faire aller plus loin dans la patience d’une recherche juste sur la place de la femme. Lu dans Revue St. Joseph (Allex) Janv.2005

Conférence de Barbara HALLENSLEBEN, théologienne allemande, membre de la commission théologique internationale. (à St Louis des Français, colloque du 15° anniversaire du séminaire français).

Au temps de la Réforme (1545) on a apprécié le sacerdoce du Christ en ignorant l’aspect sacramentel du sacerdoce des prêtres et l’aspect sacramentel de l’eucharistie. La contre-réforme catholique a réagi en insistant fortement sur le service liturgique du prêtre, essentiellement tourné vers les sacrements et notamment l’eucharistie. C’est important pour nous catholiques.Vatican II a donné une nouvelle réflexion


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Eloge de la  Beauté

LE VIDE  Médian.  ( Pensée chinoise)

Nous devons rechercher le vrai et le beau ensemble.

Il nous faut valoriser ce qui naît de l’échange et qui n’est jamais simplement du vent ou de la fumée.

Le souffle est à la base de la pensée chinoise.

Le « souffle primordial » anime toutes choses et me relie en un gigantesque réseau d’engendrement et de circulation appelé le « tao ».

C’est à partir de cette notion que les premiers penseurs ont lancé une conception unitaire de l’univers vivant. Tout se relie et tout se tient. Selon le taoïsme, chaque être est marqué, à différents degrés,  par le yin ou le yang., deux souffles complémentaires qui dérivent du souffle primordial. Le yang incarne la puissance active et le yin la douceur réceptive, le principe féminin.

Mais lorsque deux personnes entrent dans un échange positif, il y a, jailli d’entre eux, un troisième souffle du « vide médian ». Le terme peut intriguer au premier abord. En simplifiant beaucoup, on peut dire qu’il désigne ce qui se passe entre les êtres lorsque ceux-ci acceptent de rechercher le vrai et le beau ensemble. Or, pour la pensée chinoise, ce qui se passe entre les êtres est aussi important que les êtres eux-mêmes. Le souffle du « vide médian » nous entraîne dans une interaction féconde, et par suite dans une transformation mutuelle, bénéfique pour chacun d’entre nous.

En Occident,  on en est arrivé à l’individualisme à outrance. Désormais, la seule chose qui importe est de préserver son moi et de « se réaliser ». Mais il s’agit d’un concept très pauvre. L’amour réduit au « chacun pour soir » ne peut durer. La femme la plus belle qui reste devant son miroir ne peut se dépasser. Elle n’est  qu’une figure virtuelle enfermée dans sa finitude.

Au contraire, pour la pensée chinoise, l’accomplissement n’existe pas « en soi » mais « en avant de soi ». Lorsque vous parlez, lorsque vous souriez, c’est déjà « un avant de soi » à plus forte raison lorsque vous réalisez quelque chose. Un peintre comme Cézanne échange avec la montagne Ste Victoire . Et quelque chose naît de cette relation. Ainsi, tout ce qu’engendre l’échange d’entre deux personnes n’est pas du vent ou de la fumée, mais un instant précieux, fécond et rare, irremplaçable. Nous devons donc rechercher le vrai et le beau ensemble. Il nous faut valoriser ce qui naît de l’échange et qui constitue, pour ainsi dire, une entité à part entière. Aussi concrète que, par exemple, un enfant né de l’union d’un homme et d’une femme, un tableau né de l’esprit de Cézanne et de celui de la montagne de Ste Victoire.

Selon la pensée chinoise, le vide médian est un Trois qui naît du Deux. Et qui, drainant la meilleure part du Deux, permet au Deux de se dépasser. La beauté ne se réalise vraiment que lorsque le Trois surgit de l’échange entre deux êtres. Les penseurs chinois comme Lao Tseu ou même Confucius ont eu l’intuition que toute pensée vibrante est ternaire.

Ce vieux monde ne nous inspire qu’un regard blasé. Nous avons l’habitude de dire, selon l’expression biblique, « rien de nouveau sous le soleil ». Il est vrai que nous avons découvert tous les continents et recensé toutes les espèces, mais si nous devenons tous identiques, il n’y aura plus jamais de langage authentique, jamais de « je » et de « tu » dignes de ce nom. Ce qui surgit entre les êtres, chaque personne étant unique, est toujours fait d’inattendu et d’inespéré donc de neuf.

Chaque matin en me levant, voyant le même arbre ; selon les lumières et les saisons, je le découvre autre, comme si je le regardais pour la première fois.  La beauté la plus évidente ne peut être connue : elle demeure indéfiniment à découvrir.

Le souffle du vide médian, en son action la plus élevée, fait apparaître à chaque fois la vie, comme au matin du monde.

Par François CHENG, de l’Académie française. Article tiré les Essentiels de la VIE  N° 3098 Janvier 2005

Écrivain et traducteur, vient de publier un recueil de poèmes « le Livre du vide médian (Albin Michel)  et toute beauté est singulière. (Phébus)


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Luxure ou le déni du Corps

                                    Anselm Grün

La luxure a son envers la chasteté.

Etre chaste, c’est aimer l’autre sans avoir besoin de le posséder, de le dominer.

C’est honorer la force vitale sexuelle qui, en soi, est source de créativité et de spiritualité ;

La luxure désigne, selon la théologie morale, le rapport désordonné à la sexualité.

La luxure est abordée par son contraire, la chasteté.

St. Benoît exige de ses moines qu’ils éprouvent les uns envers les autres un amour fraternel « chaste » c’est-à-dire désintéressé. Il pense ici à un amour pur, qui n’a aucun lien avec des désirs de possession, avec la volonté de contrôler ou le besoin de dominer. Vivre chastement signifie simplement être sensible, tendre, précautionneux et soigneux.

Si l’on transpose ce sens au domaine de la sexualité, on entend par chasteté l’aptitude à vivre la sexualité selon l’ordre du cœur. Non comme une simple pulsion mais comme l’expression d’un amour qui prend l’autre au sérieux dans son unité. La luxure est donc un comportement qui ne considère l’autre que comme un objet de sa propre satisfaction.

Dans les temps anciens la chasteté a souvent été placée sur le même plan que l’abstinence sexuelle. La chasteté signifie l’expression d’un amour puissant et passionnel, mais toujours attentif à la dignité de l’autre ; dans la sexualité se trouve le désir de s’oublier soi-même et de ne faire plus qu’un avec l’autre. Celui qui réduit à néant cette énergie vitale ampute l’homme de ce qu’il a de plus vivant en lui. Il ne s’agit pas de nier notre sexualité, mais de l’intégrer dans tous les domaines de la vie, comme l’expression la plus élevée de l’amour personnel, source de créativité et de spiritualité.

A l’opposé du refoulement de la sexualité, nous observons aujourd’hui une idolâtrie de la sexualité. Dans un monde de la superficialité, la sexualité apparaît comme la seule profondeur D’où certaines dérives, comme le viol et les abus sexuels. La sexualité devient alors l’expression d’une grave offense et d’un mépris de la dignité humaine. La luxure met en danger les bonnes relations entre l’homme et la femme, un lieu d’exploitation, ne obsession qui conduit à la destruction de l’éros.

Par le passé, de nombreux chrétiens, ont gaspillé beaucoup d’énergie à opprimer la sexualité par crainte de ses dangers. Celui qui opprime la sexualité est constamment occupé par celle-ci. Les mystiques ont toujours su que dans la sexualité se trouve le désir qui ne peut être réalisé simplement par l’acte sexuel.  Elle nous renvoie en fin de compte à l’extase devant Dieu. C’est pourquoi les mystiques ont toujours décrit leur expérience de Dieu et du Christ avec le langage de l’érotisme.. Il s’agit pour nous d’accepter la sexualité comme un « bon » don de Dieu. Dans cet esprit, nous avons besoin d’une culture de la chasteté, d’une chasteté qui n’enlève rien à l’être humain, mais au contraire le transforme.

Grün, moine à l’abbaye de Münsterschwarzach, en Bavière, auteur de best-sellers où il approche la théologie à la lumière de la psychologie. « Jésus, message de vie et exercices spirituels pour tous les jours ». DDB


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La Sagesse, une femme fracassante !

Dans le Livre des Proverbes tout particulièrement, la Sagesse est un personnage féminin.

Ce n’est pas là une image, une agréable manière de dire. C’est une réalité vers laquelle l’Ecriture nous dirige : La Sagesse est une personne et pas une matière à étudier. Non pas un traité de dictons orientaux, mais quelqu’un dont il faut rechercher la présence, écouter la voix. D’ailleurs, Dame Sagesse fait parfois irruption, comme ici, et ne mâche pas ses mots. ( Prov. 1, 20-33)

Elle est même d’une rare véhémence. Pourquoi ? Précisément pour rappeler qu’il ne s’agit pas, pour devenir sage, de pratiquer quelques préceptes banals. Un sage, au sens biblique, c’est un homme qui cherche passionnément dans le quotidien, la vie venue de Dieu. C’est pour lui une question cruciale ; pas du tout un petit « plus » afin d’orner son esprit de belles maximes ou d’arrondir les angles dans les relations humaines au moyen de trucs psychologiques  bien vus et bien dits.

Est sage celui qui a le sens de la vie venue de plus loin que lui-même, et qui sait, que, sans cette vie, tout tombe en ruine.

La sagesse déboule donc dans les rues ; tient des meetings publics.

Elle vient de Dieu et parle au nom de Dieu ; il est nécessaire d’abandonner ce que l’on croit savoir, les honnêtes lieux communs ( ce que la Sagesse appelle la « naïveté » ) la philosophie passe-partout qui permet juste de vivoter et qui méprise tout ce qui n’est pas elle (ce que la Sagesse appelle la « moquerie »)

Ecouter la Sagesse, c’est revenir au commencement, quand Dieu s’est révélé comme le Maître de la Vie, offrant à chaque homme, à chaque femme d’entrer en relation avec Lui et de participer à sa vie divine.

La Sagesse vient pour nous enseigner cela, nous rééduquer., afin que l’engrenage infernal ne nous happe pas indéfiniment. Sinon, comme elle le dit, les humains de nouveau « mangeront du fruit de leur conduite. »

Le drame va incessamment se répéter : on croit que l’on peut tenir, et maintenir sa vie tout seul, on estime que l’on sait suffisamment le bien et le mal pour se débrouiller et, peu à peu on s’aperçoit qu’il n’en est rien. La tourmente, la détresse arrivent, et l’on ne sait que faire ;

La Sagesse revient avec nous si nous voulons bien, sur les « lieux du crime » elle enseigne pas à pas comment  s’acclimater à Dieu, comment ne pas tomber dans les panneaux que dresse l’ennemi., comment consulter Dieu dans les moindres circonstances de la vie. Avec elle, sous sa conduite, nous pouvons sans crainte repartir du commencement et entrer dans l’intimité de Dieu qu’il propose depuis l’origine. Elle fait « bouillonner son esprit » de discernement, de compréhension des choses de Dieu ; Pour les hommes qui veulent devenir sages, la Sagesse est une femme qui donne du bon fruit de vie, sans danger, nourrissant, Elle réhabitue ainsi ces hommes à faire confiance aux femmes qu’ils rencontreront quand celles-ci travaillent pour la vie. La Sagesse constitue pour les femmes la vérité de ce qu’elles sont en Dieu : des dispensatrices de la vie qui affirment que, dans le Dieu vivant, on demeure « sans crainte de malheur ». Sans atteinte de la mort.

La Sagesse est un personnage féminin : pourtant ; les chrétiens, dès les premiers siècles, verront en elle la figure du Christ, Sagesse éternelle du Père. La Sagesse ne dit-elle pas (Prov. 8,22 et suivants.) qu’elle est née avant les siècles, qu’elle était  présente quand Dieu créait et qu’elle se plait aussi parmi les enfants des hommes.

La Sagesse préside, en fait, au mouvement de l’incarnation : on reconnaît sa présence dans un homme sage qui accepte de devenir un fils ; on la reconnaît aussi dans la rencontre, toute divine, d’un homme et d’une  femme (Prov. 18,22)

 Philippe Lefebvre, dominicain, agrégé de lettres et bibliste.

Enseigne la Théologie à Angers et à l’école biblique de Jérusalem.


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la Sagesse... une bien aimée

Parlant à des hommes, la Sagesse se présente à la fois en philosophe qu’il faut « jour après jour » venir écouter au seuil de son école,

En Bien-Aimée….La Sagesse dans la Bible n’est pas une disposition d’esprit, une façon d’être sereine ou une pratique équilibrée ; c’est une Personne.

Dans les Proverbes, « Sagesse » fait une entrée tonitruante. Elle est née avant les siècles, elle a assisté Dieu dans son œuvre de création tout en s’ébattant au milieu des humains. ( Prov. 8,24-31)

Il faut donc prendre au sérieux ce que cette Personne inattendue nous dit ; il y a dans la sphère divine « quelqu’un d’autre » avec Dieu. Les chrétiens ont interprété cette Personne comme le Christ, « né avant tous les temps. » Comme Sagesse est un personnage féminin,  certains ont vu en elle la Vierge Marie, la Femme Sage,  présente dans la pensée de Dieu avant la création du monde. Les 2 lectures sont défendables.

En fait, dans les Proverbes, Sagesse manifeste cette propension de Dieu à rejoindre sa création. Sagesse s’incarne dans le fils et, dans tous « fils » qui est prêt à l’écouter. Elle se voit dans toute femme sensée, qui sait reconnaître, promouvoir, magnifier la vie qui vient de Dieu.

Le déploiement humain d’un homme et d’une femme accomplit dans la chair la Sagesse de Dieu. Sagesse demeure bien une personne à part entière, mais elle habite aussi ceux qui l’accueillent et elle « se réalise en eux. »   

Ici, Sagesse s’adresse aux hommes qui cherchent à vivre selon Dieu. Elle les nomme « fils », non pas « mes fils » car elle n’est pas une matronne rassurante pour les apprentis  en science divine, mais un être qui situe les hommes dans leur plus grande dignité masculine : être fils devant Dieu. « Celui qui me trouve a trouvé la vie », dit-elle. Elle est cette présence venue d’en haut qui enseigne à discerner entre la vraie vie et ses imitations ;

Comment dans le quotidien apprendre à connaître Dieu?

Il convient de fréquenter longtemps la Sagesse.

Parlant à des hommes, Sagesse se présente à la fois en philosophe qu’il faut « jour après jour » venir écouter au seuil de son école, et en bien aimée. : Sagesse est comme une femme enthousiasmante à la porte de laquelle on vient frapper avec constance chaque matin. Sagesse propose donc une conversion au sens propre du terme : se tourner vers un être venu de Dieu, avec l’assurance qu’il est là pour faire du bien.

Des femmes suivent le Christ depuis la Galilée ( Luc 8, 2-3) : c’est la Sagesse éternelle qu’elles accompagnent, et elles apprennent de Jésus à reconnaître Dieu présent dans une chair d’home.

Quand Jésus ressuscite, il envoie des femmes auprès de ses disciples : c’est la figure même de la Sagesse. Ayant vu le fils, ces femmes sages peuvent témoigner de lui auprès des « frères » de Jésus et leur annoncer qu’ils sont désormais fils avec le Fils. Elles deviennent sages-femmes du Royaume, provoquant la naissance du fils du Père. J’entends presque Marie de Magdala dire aux onze avec Sagesse ;

 «  Maintenant, fils, écoutez-moi ».de Philippe Lefebvre, op, dans les « Essentiels » de la vie 11 mars 2004

Ces indications concrètes (« aller jusqu’au seuil de Sagesse ») font aussi allusion au temple de Jérusalem ; la demeure de Sagesse comme le Temple représentent un monde d’intimité, de présence, et en même temps de respect. Le Temple de Jérusalem est parfois présenté comme la maison de la Sagesse où  l’on vient apprendre et se réjouir (Siracide 24,10-11.) Jésus enfant, resté au temple, puis Marie, qui pénètre au temple pour le rechercher sont 2 figures de sagesse, attachés à un lieu de la connaissance.

SAGESSE faite FEMME : Il est très important pour un homme de recevoir sa vie de Dieu par la main d’une femme. C’est ce que manifeste Sagesse qui se présente comme une femme parlant aux hommes.

De nombreux textes bibliques insistent sur cet « ordre » fondamental : Jésus rencontre plusieurs femmes sages. Marie sera appelée Siège de la Sagesse.(sedes sapientiae)

Haïr la Sagesse, c’est grave : c’est elle qui assure le branchement de l’humain sur la source de vie. (note dans Essentiels.)

 


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La sagesse n’est rien si elle ne transforme pas radicalement la vie quotidienne

dira Marie Madeleine Davy,

cette femme libérée des dogmes, première femme admise à l’institut Catholique de Paris où elle se trouve marginalisée, reléguée au dernier rang de l’amphithéâtre.

Enrichie du compagnonnage  de Sr Bernard de Clairvaux qui a dit : «  Apprenez à ne répandre que votre plénitude », elle s plonge dans la spiritualité orthodoxe après sa rencontre avec un moine orthodoxe et c’est la révélation : « la patrie de son âme  est orientale. ».NOUVELLES CLES / LU DANS LE N° 48

Marie madeleine Davy, traceurs de voie du XX° siècle. Une femme libérée des dogmes. Pendant plus de 12 ans elle va étudier la philosophie qu’elle envisage comme une sagesse. Première et seule femme admise à L’institut catholique de Paris, elle est marginalisée, reléguée au dernier rang de l’amphithéâtre ; elle ne trouve personne à qui parler ouvertement de ce qui l’agite ; les théories sur Dieu lui paraissent vaines ; il lui semble que sa formation religieuse « réglemente le dehors et déserte le dedans ».. Maître Eckart aura été son « grand amour » .Le choix de l’Absolu lui apparaît progressivement comme celui de la grande liberté ; Bernard de Clairvaux devient l’un de ses compagnons quotidiens, lu qui enseigne : «  Apprenez à ne répandre que votre plénitude » Suite à la rencontre d’un moine orthodoxe de passage elle se plonge dans la mystique orthodoxe et c’est la révélation : « la patrie de son âme  est orientale. ». Loin de la théorie pétrifiée, sans âme sans esprit qu’enseignent les clercs, loin de l’intellectualisme qu’elle qualifie désormais de « borné et outrancier » elle reprend contact avec une religion de l’émerveillement ; sa respiration prend une nouvelle densité : elle ne cherche plus à expliquer le mystère, elle l’éprouve à nouveau  comme, enfant, elle comparaît si simplement, si intuitivement les oiseaux et les anges. Page 64

 


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Voici que tu devras garder le silence
      A Noël nous fêtons une triple naissance… La première et la plus sublime naissance est celle du Fils unique engendré par le Père céleste dans l'essence divine, dans la distinction des personnes. La seconde naissance est celle qui s'accomplit par une mère qui dans sa fécondité a gardé la pureté absolue de sa chasteté virginale. La troisième est celle par laquelle Dieu, tous les jours et à toute heure, naît en vérité, spirituellement, par la grâce et l'amour, dans une bonne âme…
      Pour cette troisième naissance, il ne doit rester en nous qu'une recherche simple et pure de Dieu sans plus aucun désir d'avoir rien qui nous soit propre…, avec la seule volonté d'être à lui, de lui faire place de la façon la plus élevée, la plus intime avec lui, pour qu'il puisse accomplir son oeuvre et naître en nous sans que nous y mettions obstacle… C'est pourquoi saint Augustin nous dit : « Vide-toi pour que tu puisses être rempli ; sors afin de pouvoir entrer », et ailleurs : « Ô toi, âme noble, noble créature, pourquoi cherches-tu en dehors de toi ce qui est en toi, tout entier, de la façon la plus vraie et la plus manifeste ? Et puisque tu participes à la nature divine, que t'importent les choses créées et qu'as-tu donc à faire avec elles ? » Si l'homme préparait ainsi la place au fond de lui-même, Dieu, sans aucun doute, serait obligé de le remplir et complètement ; sinon le ciel se romprait plutôt pour remplir le vide. Dieu ne peut pas laisser les choses vides ; ce serait contraire à sa nature, à sa justice.
      C'est pourquoi tu dois te taire ; alors le Verbe de cette naissance pourra être prononcé en toi et tu pourras l'entendre. Mais sois bien sûr que si tu veux parler, lui doit se taire. On ne peut mieux servir le Verbe qu'en se taisant et en écoutant. Si donc tu sors complètement de toi-même, Dieu entrera tout entier ; autant tu sors, autant il entre, ni plus ni moins.

Jean Tauler (vers 1300-1361), dominicain à Strasbourg
Sermon pour la fête de Noël (trad. Cerf 1991, p.15s)


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Maître Eckhart et Jan van Ruusbroec

 

Études sur la mystique « rhéno-flamande » (XIIIe-XIVe siècle)
« Un recueil d'études sur la mystique «  rhéno-flamande  », ce courant spirituel des XIIIe et XIVe siècles représenté d'un côté par Maître Eckhart, Henri Suso ou Jean Tauler, et, de l'autre, par Hadewijch d'Anvers, Jan van Ruusbreoc ou Jan van Leuwen. "La mystique de Ruusbroec est une mystique amoureuse", celle d'Eckhart "une mystique de la naissance du Verbe divin dans l'âme inspirée par Albert le Grand et Thomas d'Aquin" ». (Libération, 17 février 2005)


« La mystique «  rhéno-flamande  » regroupe deux ensembles, puisant aux mêmes sources mais allant parfois dans des directions opposées : une tradition «  allemande  », représentée essentiellement par les dominicains Maître Eckhart, Henri Suso et Jean Tauler ; et une tradition "flamande", illustrée par la béguine Hadewijch d’Anvers et par Jan van Ruusbroec. Cet ouvrage traite de quelques aspects majeurs de la recherche actuelle sur ces auteurs. » (présentation de l'éditeur)

« Dans cet ouvrage dont j’ai assuré la coordination, dans une collection dirigée par Alain Dierkens, j’ai souhaité rassembler des textes sur la mystique "rhéno-flamande", écrits par certains des meilleurs spécialistes actuels de la question (Marie-Anne Vannier, Wolfgang Wackernagel, Paul Verdeyen,...). Ce que la tradition historiographique appelle mystique "rhéno-flamande" regroupe en fait deux ensembles qui se croisent mais ne se recoupent pas totalement, voire parfois s’opposent : une tradition «  allemande  », représentée principalement par les dominicains Maître Eckhart, Henri Suso et Jean Tauler; et une tradition "flamande" illustrée par la béguine Hadewijch d’Anvers et par Jan van Ruusbroec. On trouvera dans ce livre de nombreuses études sur Maître Eckhart (abordant des thèmes aussi divers que la naissance de Dieu dans l’âme, la Déité, la théologie négative, l’image, la métaphysique du Verbe, etc.), ainsi que sur Suso, Tauler, les Amis de Dieu, et enfin, pour clore cette première partie sur la mystique "rhénane" ou "allemande", des textes sur la réception de la pensée d’Eckhart aux XIXe et XXe siècles. La seconde partie, beaucoup plus courte que la première, porte sur la mystique «  flamande  », essentiellement Jan van Ruusbroec. On pourra y lire une remise en cause de la notion de mystique "rhéno-flamande", un texte sur la mystique maternelle chez Ruusbroec, ainsi qu’un autre sur l’instrumentalisation politique de ce grand mystique par la propagande allemande, en vue d’annexer ce "Flamand" (en fait un Brabançon) à la germanité.  »

par Benoît Beyer de Ryke (direction de l'ouvrage)
Collection : Problèmes d’histoire des religions - ISBN : 2800413476


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Les béguines ou Vivre autrement… pour femmes

Je suis partie  à la recherche des béguines.

Les béguines – qu’est-ce que c’est ?

Le petit Larousse 1999 mentionne sous béguine : femme d’une communauté religieuse chrétienne où l’on entre sans prononcer de vœux perpétuels, notamment aux Pays-Bas et en Belgique.

Les béguines disent d’elles-mêmes : femmes hors du conformisme vivant sur la base d’une version moderne d’anciennes traditions de béguines décrites ci-après.

Les béguines étaient des femmes spirituellement et économiquement indépendantes qui vivaient au Moyen Age et qui organisaient leur vie de façon communautaire. Elles vivaient en groupes, petits et grands, dans des maisons ou des fermes de béguines et ne se soumettaient à l’origine à aucun diktat. Elles arrivaient à obtenir leur indépendance économique en intégrant leurs possessions, leurs dotes, leur savoir-faire, leurs connaissances et leur travail.

Les béguines étaient actives dans tous les corps de métiers. Elles écrivaient, enseignaient, soignaient et s’occupaient de mourants. Dans le pays de Thuringe (ex-RDA), elles se consacraient particulièrement à la fabrication d’étoffes, à la teinture, au commerce et aux travaux sociaux. Selon les documents des archives urbaines, il y eut au moins neuf fermes de béguines à Erfurt lors de la période de gloire entre le 12e et le 14e siècle. Les succès économiques et la grande renommée firent jaillir la jalousie des corporations, la vie anticonformiste provoqua la méfiance des Eglises (et le comportement des Eglises a provoqué la mienne). Les travaux manuels leur furent défendus, de nombreuses béguines ont été déclarées être des sorcières, poursuivies et brûlées. Les fermes de béguines furent intégrées à des couvents ou dissoutes.

  • Les béguines d’aujourd’hui

Sur la colline de 500 m de hauteur près de Tännich, respectivement à 30 km au sud de Erfurt et de Weimar, l’année 1998 a vu la naissance d’une ferme de béguines moderne où des femmes de tous âges, avec ou sans enfants, aux possibilités financières diverses, peuvent vivre en communauté et prendre des responsabilités. C’est le premier centre actif en Allemagne. Il est dirigé par des femmes de grande expérience du féminisme en Thuringe et du monde de l’économie. Les possibilités sont des créations d’entreprise dans le domaine manuel, social, gastronomique et de l’enseignement.

Ce centre de béguines est également un lieu de retraite et de protection pour des femmes et leurs enfants. Elles trouveront ici, à côté de moyens de se ressourcer, des vacances, de la détente et une cure de leurs expériences de violences patriarcales.

Des possibilités de rencontre pour toute femme intéressée sont données le dimanche entre 15h00 et 17h00 autour d’une tasse de café dans la salle pendant les mois de l’été, et de juin à octobre au café-terrasse.

  • Le nom de la ferme

Nous avons donné le nom de "Lieselotte" à notre ferme, afin d’honorer Lieselotte Pohl, née Henn, 1908 – 2000. Sa fille qui s’engage pour la reconnaissance politique du travail en faveur des femmes, a corroboré les travaux de sa mère par des données chiffrées et a fait don d’une certaine somme d’argent en honneur à sa mère et pour acheter la ferme à Tännich.

La journée annuelle de la fondation est fêtée le 3 novembre : c’est le jour de l’enterrement de Lieselotte Pohl et le jour de la décapitation d’Olympe de Gouges en 1793 qui dès 1789 avait lancé que si les femmes avaient le "droit" de monter à l’échafaud, elles avaient également le droit de monter à la tribune.

Cette fondation doit contribuer à ce que les femmes aient accès à la tribune et qu’elles le gardent, que les femmes obtiennent la reconnaissance publique de leurs idées, de leurs propres façons de vivre et de leur travail.

Sentiment d’appartenance

L’acceptation de nouvelles béguines se fait chaque année le 2 août, la fête des coupeuses de blé. L’assemblée des béguines se réunit ce jour-là pour écouter les femmes qui veulent rester dans la ferme, celles qui veulent partir et celles qui veulent venir. Les femmes qui veulent habiter la ferme des béguines peuvent émettre leurs vœux à tout moment, elles peuvent déjà venir habiter à la ferme pendant quelques temps pour faire connaissance et prendre leur décision le 2 août.

Par ailleurs, cette date sert à revoir l’année écoulée et les projets pour l’année suivante.

  • Description de la ferme

La ferme des béguines est un groupe de bâtiments sous protection historique des monuments qui ont environ 200 ans. Elle se trouve dans le village de Tännich près de Breitenheerda (entre Rudolstadt et Dienstedt) aux abords de la forêt de Thuringe, entourée d’un grand nombre de plantes rares et d’animaux. Le calme et l’éloignement permettent un maximum de concentration et de créativité, le séjour au milieu de la nature procure en même temps relaxation pour le corps, l’âme et l’esprit. La ferme des béguines comprend quelques prairies, une forêt, un parc, une piscine, un jardin, une spirale d’herbes dans la cour intérieure, un labyrinthe en construction et au moins 2.500 m² de surface habitable et utile, y compris les chambres d’hôtes.

  • Financement

Afin d’incorporer la ferme des béguines entièrement à la fondation et de la garder ainsi de manière durable aux mains des femmes, afin de la rénover selon des critères de biologie de la construction, nous avons encore besoin de capital.

Nous prions toutes les femmes qui lisent ces lignes de profiter de l’occasion et de s’assurer par des dons et des accroissements de capital de la fondation la place qui leur revient au sein de la "communauté des béguines sages". C’est une ronde de dames d’honneur qui changent le monde grâce à leur sagesse et qui seront honorées chaque année par la fête de la fondation.

Sonia J. Fath

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Le trésor de la Sagesse

Bertrand VERGELY,  philosophe orthodoxe, auteur de nombreux ouvrages :  de philosophie : « Petite Philosophie du bonheur » (Milan) « dictionnaire de la philosophie »( Milan)

Qu’est-ce donc que la Sagesse ?

Il y a deux types de sagesse : un sagesse négative fondée sur la finitude et le désespoir, et une sagesse positive fondée sur la spiritualité et l’émerveillement. Fondamentalement matérialiste, la sagesse négative, actuellement à la mode, vise au désenchantement  et au détachement.

Très marquée par un certain scepticisme , elle se résume à accepter la finitude- notre mort- ainsi que l’absence de toute transcendance, de toute réalité durable, de toute vérité dépassant le plan des 5 sens. Ce qui revient en gros à consentir à vivre  «  pour rien », en faisant de ce »pour rien » une ouverture sur le plaisir immédiat t onc une « libération. Cette sagesse négative  n’est pas complètement inutile, car il est important de se débarrasser de certaines illusions, liées notamment à la vie sociale (richesses, honneurs etc..) Mais elle est triste également, si ce n’est nihiliste et désespérée, puisqu’elle renvoie l’homme à son néant.

Et la sagesse positive ?

Sagesse de Dieu dans le Christ, elle passe aussi par une libération des illusions propres aux vanités humaines ; Mais la prise de recul découle cette fois d’un émerveillement venu d’En-Haut, pas du désespoir.

Sa racine est une joie liée  à la compréhension qu’on n’a pas encore tout vu de la vie , la vraie, celle de jésus qui dit : » Je suis la Voie, la Vérité, la Vie ». Goûter aux promesses, inespérées, du spirituel nous détache en effet tout naturellement des choses limitées d’ici-bas ; car la véritable sagesse n’a jamais été fondée seulement sur le doute, mais sur la foi, c’est-à-dire la confiance dans la réalité, divine et infinie dans son essence. La véritable sagesse n’est donc pas une résignation triste du type «  c’est la vie.. » «  il faut bien être philosophe.. » Telle qu’elle est comprise par les Pères de l’Eglise, la sagesse est au contraire une illumination créatrice qui découle de la rencontre du Christ .

Pourquoi ?

Parce que  rencontrer le Christ, c’est vivre en relation avec la double dimension qui le caractérise, à la fois divine et humaine, transcendante et historique. Lui, «  par qui tout a été fait » incarne en effet le mariage entre le visible et l’invisible comme la relation entre dieu et l’homme. Ce qui renvoie à la circulation des énergies infinies du Père, manifestées dans le visible  pour que le visible aille vers l’invisible. « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » St Irénée. Ce mouvement de circulation du haut vers le bas et du bas vers le haut est la vie même du cosmos. Faire la rencontre du Christ « Dieu s’est fait homme » , signifie donc faire l’expérience que l’homme et Dieu sont inséparables dans le devenir du monde. C’est voir le visible comme invisible et l’invisible comme visible, ce qui est un émerveillement sans fin, le cœur de la véritable sagesse et la floraison de toute vertu. Oui, chaque fois que je m’émerveille devant la profondeur du visible, je rencontre le Christ dans la chair de ma propre existence.

Comment se traduit cette sagesse chrétienne dans notre vie ?

Je distingue 2 étapes de la Sagesse ; la première relève à la fois de l’illumination- connaissance- et de la dynamisation- c’est-à-dire de l’énergie. C’est le « baptême «de la réalité divine, à la fois inouïe et . . toute proche. » Avant cette expérience, dans notre état ordinaire, nous ne sommes pas encore dans la véritable réalité, mais dans la frustration liée à la perte de l’essentiel : nous fonctionnons « en-dessous » de nous-mêmes. Nous devons donc nous plonger dans l’incroyable potentiel divin et humain qui découle de notre  nature fondamentale, blessée par le péché mais guérie par le Christ.

Et la deuxième étape ?

C’est la réalisation personnelle et quotidienne de ce potentiel qui s’exprime alors dans toues nos dimensions (corps, âme et esprit) par l’apparition de l’attitude juste et des différentes vertus. Peu à peu, la tempérance, la force l’humilité etc.. éclosent en effet s’elles-mêmes pour harmoniser nos relations et nos entreprises. Equilibre entre nous, le cosmos et Dieu,cette sagesse concrétise enfin sur le plan collectif en imprégnant  la médecine, la science, ; la morale, l’économie, la politique, l’écologie.. qu’elle relie au sens.

Auriez-vous un exemple personnel ? 

L’expérience de la sagesse nous permet de découvrir des énergies inconnues présentes dans notre corps, qui sont source d’auto-guérison de nos souffrances et d’harmonisation du masculin et du féminin. En fait, l’illumination spirituelle éveille notre créativité et notre fécondité, ce qui nous met dans un état de découverte et d’émerveillement permanents. Cet émerveillement crée l’attention et l’attention nourrit l’émerveillement : c’est le cercle vertueux de la croissance intérieure qui conduit au bonheur.

L’attention ou contemplation, c’est bien ce qui nous manque le plus dans notre état ordinaire ; pourtant, c’est bien elle qui mène à l’attitude juste et à la « vie bonne ». L’homme sage en effet, ne se conforme pas par l’effort et la contrainte à un ordre extérieur à lui, mais adhère librement à sa vraie nature humano-divine. Tout s’ouvre alors comme une promesse qui nous dit : » N’arrête pas d’apprendre, de découvrir les trésors  qu’il y a en toi et hors de toi ». Si l’on enseignait plus cela, combien pourraient à terme guérir de leurs maladies de l’âme- « passions » déséquilibres psychologiques, frustrations- qui sont autant de sources de violence.

Comment parvenir à une telle ouverture ?

Je parlerai d’abord d’un modèle où j’ai vu vivre cette sagesse au quotidien : le Mont Athos (en Grèce) qui m’accueille presque chaque été depuis trente ans. Avec mes frères moines, j’ay ai découvert le rythme liturgique, qui est à la fois intérieur, collectif et cosmique. Véritable bain de prière, ce rythme de sagesse, de force et de beauté est LA méthode spirituelle du chrétien  ainsi que le mystère et la sagesse irremplaçables de l’Eglise.

La grâce des sacrements nous y vivifie en nous libérant de la peur et des fausses images de Dieu comme de nous-mêmes. Nous sommes alors naturellement portés vers notre vrai travail de témoignage : être attentifs à l’incroyable potentiel de l’homme, ce qui permet à cette richesse de se déployer, librement, sans violence, et de féconder le monde.

Quelle place tient ici la prière ?

Une place fondamentale, puisque c’est elle qui relie l’homme aux énergies divines en les invitant à venir s’établir chez lui. Tout être qui entre véritablement en prière en fait l’expérience : celle d’un bonheur intense qui est aussi équilibre et sagesse. Le poète allemand Novalis en a l’intuition en disant que la philosophie (étymologiquement , l’amour de la sagesse) est une grande prière !

Oui, l’essence de la vie humaine est liturgie et prière.: un appel à ce que les forces divines pénètrent en nous pour mieux rayonner dans le monde. C’est pourquoi l’homme a soif de la prière, vers laquelle il est intrinsèquement orienté et qui seule le libère et l’accomplit.

Voilà le caractère essentiel  de la vie mystique, qui est à la fois le cœur de l’existence et son sommet : devenir icône comme le Christ lui-même, l’axe où s’épousent le visible et l’invisible. C’est une étreinte fulgurante et sublime où tout passe, tout circule, tout se fait. Là, conformément au « priez sans cesse » de Paul, chaque action, chaque pensée devient prière. Une promesse fantastique pour notre avenir, individuel et collectif..

Dans « prier », n° 262  Juin 2004


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Choix spirituels de la vie religieuse

Michel RONDET Cerf 1974

LIBERTÉ SPIRITUELLE DU RELIGIEUX

 

1. LIBERTÉ ET ENGAGEMENT

          C'est un problème important aujourd'hui dans le monde où, souvent, liberté est identifiée à spontanéité, ou encore à sincérité.

Nous voyons se manifester autour de nous, dans le monde et dans l'Eglise, une liberté qui peut renverser les barrières - et c'est un travail positif; une liberté qui, dans certaines circonstances, prend la parole et la prend vigoureusement - et cela aussi c'est quelque chose de positif. Mais il est plus rare que nous rencontrions des libertés qui assument le réel dans une création nouvelle, qui créent des formes de vie et de sociétés nouvelles. Cela existe, mais ce n'est pas fréquent. On peut dire et c'est très heureux que nous assistons dans l'Eglise à une certaine explosion de la liberté charismatique, mais il faut ajouter que, jusqu'à maintenant du moins, ou trop souvent encore, ce charisme plafonne dans le refus, la contestation, la critique des formes existantes. C'est un travail nécessaire et utile, mais qui doit aboutir à édifier une communion, une communauté nouvelle, renouvelée, et c'est un stade que la liberté chrétienne a du mal, aujourd'hui, à franchir.

          Dans ce contexte de liberté et d'engagement, la vie religieuse se caractérise par ce fait qu'à la fois elle est exigence de liberté et qu'elle assume des engagements absolus, radicaux. Elle est exigence de liberté chrétienne, reven­dication de liberté charismatique. Nous en avons peut-être un peu perdu la notion parce que le Droit canon, les habitudes de l'Eglise et de la société nous ont enfermés dans des règles très précises qui nous ont fait oublier cette revendication de liberté qui est à l'origine de la vie religieuse.

C'est quelque chose que de revendiquer, dans l'Eglise, la liberté de suivre une vocation particulière qui ne sera pas la vocation de tous, le chemin de tous, qui ne sera pas la manière de vivre de tous ; de revendiquer la liberté d'aller rencontrer Dieu, de suivre le Christ dans telle forme de vie, de constituer une communauté particulière dans l'Eglise. C'est une liberté qui peut être dangereuse parce qu'elle peut conduire à des sectes et il faut bien dire que, parfois, nos communautés religieuses se sont situées dans l'Eglise d'une manière un peu sectaire, c'est-à-dire particulière, particulariste, qu'elles ont été des îlots dans le Peuple de Dieu, vivant repliées sur elles-mêmes, sur leurs propres tâches et leur propre vie.

C'est quelque chose que de revendiquer la liberté de constituer une communauté particulière dans l'Eglise et de demander à celle-ci de reconnaître cette communauté et sa valeur. Cela inclut la liberté de renoncer à certaines charges, à certains devoirs, au nom d'un charisme particulier, de renoncer même à des lois qui sont saintes, comme les lois de la famille et du couple sanctifiées dans le sacrement de mariage, comme certaines formes de loi du travail, de la vie économique, de la solidarité nationale. Liberté de prendre ses distances par rapport à des lois, à des structures communes bonnes, structures humaines et structures ecclésiales: famille, nation, paroisse, diocèse; liberté de prendre ses distances par rapport à toutes ces valeurs pour vivre un charisme.

Essayons de retrouver les situations originelles de la vie religieuse qui nous feront prendre conscience de cette liberté. Partons de l'exemple des Pères du désert qui représentent une des premières formes largement diffusée de vie religieuse: il faut bien nous rendre compte que, dans le contexte du temps, et même de l'Eglise du temps, c'était une revendication de liberté peu commune qui, à la limite, pouvait friser l'anarchie, parce que ces hommes quittaient tout, y compris les solidarités humaines de la cité, pour suivre Dieu et chercher Dieu selon leur propre voie, ou selon la voie du père spirituel qu'ils auraient choisi parmi plusieurs ascètes possibles dans le désert. En même temps, ils s'affranchissaient de la plupart des lois et des coutumes ecclésiastiques. La question de savoir s'ils participeraient à la liturgie commune, même le dimanche, s’ils pourraient bénéficier des sacrements, ne les préoccupait pas beaucoup. Ils partaient pour suivre Dieu et le rencontrer dans le désert.

Au bout de quelque temps, leur vie s'est organisée, certains d'entre eux sont devenus prêtres, ils se sont rassemblés pour chanter l'Office et célébrer l'Eucharistie; mais, même à ce moment là, lorsque l'un d'eux, au nom de son charisme, se sentait poussé à se retirer pour des mois dans une solitude plus absolue, cela ne posait pas tellement de problèmes.

Dans la situation de chrétienté du Moyen Age, il faut bien se rendre compte de la revendication de liberté que représentait, là aussi, la vie religieuse. Par exemple, sur le plan des solidarités civiles, le religieux revendiquait la liberté d'être, au nom du Christ, un citoyen du monde, c'est-à-dire quelqu'un qui ne serait soumis ni aux taxes, ni aux corvées locales, ni aux réquisitions militaires, féodales ou nationales; la liberté de se situer en dehors de solidarités normales et bonnes pour signifier un aspect universel de l'Eglise et de la charité du Christ.

A une époque plus proche, au XIXe siècle, est caractéristique le cas des fondatrices de Congrégations missionnaires féminines. Réalisons-nous quelle revendication de liberté représentait pour une fille d'une vingtaine d'années, élevée dans une bonne famille paysanne de l'Ouest de la France, dans un milieu où l'on prenait la suite des parents et des grands-parents dans la ferme ou les ateliers familiaux; où on se mariait dans son voisinage, où toute la vie était cadrée dans un monde assez restreint, le fait de partir dans des pays qui étaient absolument inconnus, pour y vivre avec quelques autres filles du même âge, une vie certes sainte, mais complètement en dehors des structures et des cadres habituels. Par rapport à la condition de la femme et de la jeune fille, il y avait là une revendication d'indépendance qui était peu commune.

La vie religieuse se caractérise donc par une revendication de liberté: liberté de prendre ses distances par rapport à beaucoup de choses, liberté de vivre certaines ruptures, liberté d'assumer des choix originaux au nom d'un charisme, pour signifier la puissance de l'Esprit. Cette liberté se vit dans un engagement radical, le plus radical qui soit, celui des vœux de religion. Loin de refuser l'engagement, de chercher à préserver une spontanéité adolescente ou des possibilités de choix, c'est une liberté qui, dès le départ, s'incarne dans des engagements ou se prépare à des engagements qui visent au définitif, à l'absolu.

C'est une liberté qui témoigne d'une vie qui se construit dans l'absolu, qui s'unifie dans l'amour, qui cherche à se révéler en un seul geste, à l'image de l'amour de Dieu qui, pour nous, se révèle en un seul geste: la venue, la vie et la mort de Jésus-Christ. La vie religieuse est une vie qui essaye de s'unifier, de se signifier dans un seul geste: la consécration religieuse.

De ce point de vue, l'engagement absolu a une valeur de témoignage au plan de la foi et au plan de la liberté. Ce n'est peut-être pas la seule forme d'engagement possible, mais c'est une forme qui me paraît essentielle au témoignage de la vie religieuse. C'est la foi vécue jusque dans ses dernières conséquences, dans sa radicalité, qui rend l'homme libre. C'est la fidélité à la parole accueillie qui libère. Cela est déjà vrai pour la vie chrétienne: c'est la fidélité à la parole reçue dans la foi, et au sacrement qui l'authentifie qui rend le chrétien libre en Jésus-Christ. C'est la fidélité à la parole entendue dans la vocation religieuse qui libère. Il en est de même pour l'Eglise: le peuple de Dieu est un peuple libre dans la mesure où il est fidèle à la Parole. C'est l'Evangile présent dans sa vie, c'est l'Esprit du Christ qui le rend libre.

Pour être vécu de façon authentique, ce rapport liberté- engagement suppose, dans la structure de la vie religieuse et dans la pédagogie qui conduit peu à peu à assumer cette vie religieuse, des espaces de choix et d'engagement réels, ainsi que toute une pédagogie progressive. Il s'agit d'engager une personne à vivre aussi consciemment que possible la Pâque avec le Christ, d'engager une vie chrétienne à assumer de façon consciente, à travers des choix précis et absolus, la Pâque du baptême. On ne s'engage pas totalement dans une Pâque avec le Christ par un geste généreux mais superficiel. On ne peut le faire en vérité que si on a engagé ses puissances vitales dans cette Pâque, que si on s'est engagé soi-même, à tous les niveaux de sa personnalité, dans cette Pâque. On ne peut s'engager dans une Pâque avec le Christ que si on a engagé sa sensibilité, son intelligence, sa volonté dans cette Pâque, que si on a vécu, essayé de vivre cette Pâque dans son travail, dans ses relations avec autrui, dans sa liberté. Pour que l'engagement des vœux conduise à une vraie liberté spirituelle dans la foi en Jésus-Christ, il faut qu'il soit vécu en profondeur, ce qui suppose qu'il ait été préparé par toute une vie qui, réellement et progressivement, s'est engagée dans la foi en Jésus-Christ. Cela suppose une pédagogie de la foi vécue, progressive et continue.

 

2 LIBERTÉ ET INSTITUTION

          Toute liberté qui se veut créatrice rencontre un jour le problème de l'institution, de la structure, pour durer dans le temps. Dans le livre du P. Tillard Religieux aujourd'hui (Editions « Lumen vitae ») il y a un chapitre intitulé: «se structurer pour vivre», qui étudie en particulier le problème des formes de vie communautaire, aujourd'hui.

Je me permets de vous recommander ce livre en son entier. Il est certainement un des meilleurs que j'aie lus sur la vie religieuse (le P. Tillard est un jeune Dominicain, professeur en Belgique et au Canada. Il a été théologien au Concile et il a commenté le décret sur la Rénovation de la vie religieuse). La vie religieuse qui, dans l'Eglise, se veut existence charismatique, ne peut pas éluder ce problème des structures. Si le charisme que nous voulons vivre est un charisme créateur, il va s'incarner dans des structures, des institutions, des réalités humaines qui auront dans la vie leur poids, leur place au soleil, leur consistance.

Ce problème de l'institution et des structures peut se poser de façons différentes suivant les époques. Il y a eu des périodes où les charismes religieux se sont incarnés dans des structures propres qui étaient tout entières secrétées par la communauté religieuse elle-même. C'était la même chose dans l'Eglise: ses charismes de charité s'inséraient, s'exprimaient dans des structures ecclésiales ou cléricales. Il en va autrement aujourd'hui en ce sens qu'un charisme peut s'exprimer dans des institutions et des structures qui ne sont pas nécessairement chrétiennes ou cléricales. Il s'inscrira néanmoins dans des institutions et des structures. Il est important de le redire aujourd'hui et d'aider les jeunes à en prendre conscience parce qu'ils peuvent être assez séduits par l'idée du pur témoignage. Or le pur témoignage n'existe pas. La foi opère par la charité et la charité est toujours créatrice.

Il s'agira, dans certains cas, de faire surgir une institution nouvelle, dans d'autres cas de s'insérer dans des institutions déjà existantes, ecclésiales ou non, chrétiennes ou non, peu importe, le problème restera le même. Soyons bien conscients que l'insertion dans un syndicat professionnel va poser des problèmes, comme en posait l'insertion dans un collège chrétien. Ils seront différents parce qu'ils ne se situeront pas dans les mêmes systèmes, mais il ne faut pas croire que, parce qu'on a quitté le collège chrétien pour adhérer à un syndicat professionnel par exemple, on est sorti des problèmes de l'institution. Non, on va les retrouver à un autre niveau. Les religieuses hospitalières, qui ont quitté la responsabilité d'un hôpital pour entrer dans la condition salariale, n'ont pas quitté pour autant les problèmes de l'institution. Elles les retrouvent quand elles se heurtent à des faits tels que la malhonnêteté dans le travail professionnel, le coulage, le mépris des malades, etc. Prises dans ces situations, en face de cette institution, comment vont elles réagir, que vont-elles dénoncer, à quel niveau et com­ment? Est-ce qu'il leur faudra briser la solidarité de classe ou de profession avec les autres infirmières ou les autres employées pour dénoncer un mépris du malade? A quel moment faudra-t-il le faire? Des questions de ce genre se poseront. Le problème de l'affrontement du charisme qui est mouvement, vie, création, dynamisme spirituel, avec la pesanteur d'institutions qui sont toujours ambiguës, se pose toutes les fois qu'on veut faire quelque chose.

L'Eglise dans sa structure, vit cette tension, nous le savons bien. Elle est œuvre de l'Esprit, mais dans une communauté institutionnelle. Il y a toujours en elle cette tension entre l'aspect de communauté spirituelle, charismatique, et l'aspect d'institution visible.

Religieux, nous sommes appelés à vivre dans l'Eglise cette tension d'une manière quotidienne et très contraignante, non pas en renonçant aux structures et à l'institution, mais en laissant au charisme sa priorité sur l'institution. Voilà ce qu'il faut maintenir. C'est le charisme qui anime et suscite l'institution et il y a toujours entre les deux une tension inévitable parce que l'institution, dès qu'elle existe, tend à devenir une prison pour le charisme. Il y a des moments, difficiles à saisir, où il faut détruire l'institution pour libérer le charisme, d'autres moments où il faut la rénover, comme il y a des moments où il faut instituer pour donner poids et chair au charisme si on ne veut pas vivre dans l'illusion et dans la superficialité. Au plan de nos Congrégations, cela implique qu'il y ait toujours ce regard critique sur l'institution par rapport au dynamisme spirituel. Il faut que l'institution soit toujours jugée, critiquée en fonction de ce dynamisme spirituel, en sachant bien que l'esprit ne se laisse jamais enfermer, même dans ses réalisations les plus éclatantes et les plus réussies. C'est l'histoire de toutes nos fondations religieuses: leur vie témoigne que l'Esprit qui les a suscitées, qui leur a donné à certains moments de leur histoire une éclosion, une floraison très grande, ne se laisse pas enfermer en elles et qu'il y a un moment auquel il faut être très attentif où il est nécessaire d'aller rechercher l'esprit en dehors, ou plus profond, ou au-delà de l'institution, même florissante et même spirituellement valable. Il faut garder ce regard critique par rapport aux institutions; il faut garder, plus profondément, une très grande liberté par rapport à tout ce qui est institutionnel, figures, moyens. On ne peut pas faire l'économie de l'institutionnel et de la structure, mais il ne faut jamais se lier à une structure particulière ou particularisée. Il faut toujours rénover les structures.

Au plan de la formation, nous devons être attentifs à conduire les jeunes, les projets religieux des jeunes, jusqu'à cet affrontement positif avec l'institution. La vie religieuse, la vie fraternelle, la pauvreté, le témoignage, cela ne se rêve pas, cela se vit; cela ne s'imagine pas dans les conditions idéales de la communauté type ou du témoignage pur, cela se vit dans les conditions concrètes, ambiguës, des communautés existantes et des structures humaines dans lesquelles nous nous trouvons. Il y a certainement un effort pédagogique à réaliser pour faire comprendre toute la valeur purificatrice du réalisme de cet affrontement avec l'institution.

 

3. LIBERTÉ ET LOI

          Au nom de l'Esprit qui l'appelle à la liberté de l'amour, la vie religieuse rencontre la loi et on peut même dire qu'elle renchérit sur la loi puisqu'au fond la règle est un perfectionnement de la loi. La vie religieuse ne peut éluder ce problème, mais il faut qu'elle essaye de le vivre en vérité. Elle ne peut éluder ce problème, dans la mesure où elle veut être une vie fraternelle dans une vocation commune, dans un service et dans un témoignage communs (les deux aspects sont toujours présents: l'aspect service est plus souligné dans les Congrégations qui ont une œuvre caritative ou apostolique particulière, il l'est moins dans les vocations monastiques dont l'œuvre est essentiellement de porter ensemble un témoignage commun). Elle a besoin alors d'une loi qui objective, pour chacun, la visée du groupe. Cette loi est un signe d'abord pour ceux qui viennent et qui cherchent la visée originale de ce groupe, de cette communauté dans l'Eglise. Elle est aussi un rappel pour ceux qui se sont engagés à la vivre et elle leur permet, à certains moments de tension, de choix difficiles, de division peut-être, de se retrouver sur une base et une unité communes. Ma générosité charismatique, si elle veut s'exprimer dans une fraternité qui a une vocation commune, ne peut se passer de cette objectivation, pas plus que ma foi et ma prière ne peuvent se passer de la lettre de l'Ecriture, pas plus que ma vie chrétienne ou que l'expression de ma foi ne peuvent se passer de la référence aux professions de foi de l'Eglise, si je veux vraiment rendre compte, en moi, de la foi du Peuple de Dieu en Jésus-Christ. Cette loi, cette règle religieuse, quelle est son origine et quel est son sens? Elle est d'abord description du charisme commun. Je préfère «description» à «définition» parce qu'on ne définit pas un charisme, mais on peut le décrire à travers des attitudes et des comportements dans un temps et dans des situations données. La règle religieuse est donc description de la vocation et du charisme communs; elle est aussi choix de moyens pour réaliser ce but. Elle est toujours relative au charisme, intérieure au charisme et n'a de valeur qu'au service du charisme. «notre sainte règle» pour «nos saintes règles» ! Elles sont saintes parce qu'expression d'une vocation sainte. Ce qui est saint et sanctifiant, ce n'est pas la règle en elle-même, mais le charisme qui l'inspire, comme la loi n'était sainte qu'à l'intérieur de l'Alliance, sinon elle devenait une idole.

Ce rôle de la règle religieuse est donc essentiellement pédagogique. Il consiste à révéler la grandeur et l'exigence d'une vocation, à révéler, d'une façon concrète et dans la vie de tous les jours, la sainteté d'un charisme. C'est très bien d'avoir été séduit par la vocation prophétique de tel ou tel groupe, mais qu'est-ce que cela signifie, qu'est-ce que cela implique dans la vie quotidienne, au plan des choix très concrets? C'est le rôle de la règle et de la foi de le pré­ciser dans une certaine mesure. La règle est donc le sceau de la sainteté de la vocation dans la vie quotidienne, comme nous le disions précédemment pour la loi, et, en même temps, elle dénonce notre péché, le péché du groupe que nous formons: notre péché personnel à l'intérieur de ce groupe et notre péché collectif en tant que nous sommes une communauté qui est toujours infidèle au charisme qui l'a suscitée.De ce point de vue, il est bon, il est normal que l'Eglise nous demande, dans une certaine mesure, de définir et d'objectiver notre projet et qu'elle puisse, à certains moments, nous le rappeler: «Vous prétendez vivre dans le monde un témoignage charismatique; quelles en sont les exigences?» Il est bon que l'Eglise puisse nous renvoyer à ces exigences en nous demandant si nous y sommes fidèles. Mais ceci reconnu, il faut bien dire que la règle n'accomplit pas notre vocation mais que c'est l'Esprit du Christ en nous qui le fait. En ce sens, on peut dire que le rôle de la règle n'est pas d'être pratiquée, mais dépassée. Vous connaissez cette réflexion que l'on prête à un Pape du début du siècle: «Donnez-moi un Religieux qui ait pratiqué toutes ses règles fidèlement et je le canoniserai tout de suite.» On comprend le sens qu'il faut donner à cette parole. Mais ce n'est pas la loi qui sanctifie ni la pratique de la règle ; ce qui sanctifie c'est la foi, l'espérance, la charité, c'est la vie de l'Esprit en nous. La règle n'est pas faite pour être pra­tiquée, elle est faite pour conduire à la vie théologale et à la fidélité à l'Esprit, pour nous livrer à l'Esprit. Elle est un pédagogue exigeant, mais son rôle est de nous conduire à un Autre. Elle doit donc toujours être dépassée. En elle-même, la règle, comme la loi, est impuissante à nous sanctifier et il n'est peut-être pas mauvais que nous en ayons fait l'expérience. Cela peut nous aider à sortir de notre pharisaïsme et du sentiment de notre propre justice. Quand on voit, par exemple, comment, au plan de la prière ou des exercices spirituels, des règles pouvaient être vécues et appliquées dans des Ordres et des Congrégations religieuses où l'on avait régulièrement une heure d'oraison le matin, la messe, l'office, une demi-heure d'adoration le soir, plus un certain nombre d'exercices, et lorsqu'on constate, dans ces mêmes Congrégations, que - soit avant la transformation de la règle, soit au moment où la règle a été transformée ou assouplie - certains sont passés presque radicalement de l'application de la règle antérieure à l'absence à peu près complète de prière vraie, on peut se demander ce que signifiait l'application de la règle et quelle bonne conscience ou quel pharisaïsme elle pouvait recouvrir ! Certains penseront peut-être: « S'il n'y a plus de règle, qu'est-ce qui me dira qu'il faut prier?» L'Esprit du Christ en moi, et si l'Esprit du Christ ne me le disait pas sous la règle, c'est que j'étais à côté de la prière. Il faut que la loi nous ramène à l'Esprit, et l'impuissance même où nous étions à vivre la loi doit nous ramener à la fidélité à la foi, à la fidélité à la vie dans l'Esprit. Notre seule sécurité pour l'avenir, c'est notre fidélité à l'Esprit. Mais chaque fois que nous nous éloignons de l'Esprit du Christ, il est bon que la loi, sous une certaine forme - je ne dis pas la forme d'hier - nous ramène à lui. C'est une question que les Chapitres se sont posés, sur laquelle vous pourrez revenir, en l'abordant notamment sous l'angle pédagogique des noviciats ou des communautés de jeunes. Quel est le type de loi qui, aujourd'hui, aura ce rôle pédagogique? Comment faut-il que la loi s'exprime et soit vécue pour avoir ce rôle pédagogique de nous ramener à l'Esprit du Christ et aux exigences de la charité, pour être une référence continuelle à l'Evangile vécu et à la charité vécue?

Vous connaissez l'épisode historique de Christine de Suède visitant un couvent de contemplatives, s'étonnant de la présence des grilles et recevant de l'Abbesse cette réponse: « Nous avons des grilles à cause de nos vœux.» Et la reine de répondre justement: «J'aurais cru que, puisque vous aviez des vœux, vous n'aviez pas besoin de grilles.» Quelle est la loi qui, aujourd'hui, nous renverra continuellement à l'Esprit du Christ, sans être prison, sans être possibilité de justification, sans nous enfermer dans notre propre recherche de la perfection, mais en nous ramenant continuellement aux exigences de la vie du Christ?

Je conclus ces quelques réflexions. Le renouveau de la vie religieuse ne peut être que renouveau dans la liberté spirituelle, parce qu'il ne peut être que renouveau dans l'Esprit du Christ. « Là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté. » Mais cette liberté ne sera authentique que si elle accepte de vivre dans l'affrontement avec le temps, dans l'engagement. La liberté, ce n'est pas la spontanéité d'un jour: c'est une vie qui se structure dans l'éternel. Notre fidélité ne sera authentique que si elle vit l'affrontement avec le temps dans l'engagement, et l'affrontement avec les structures et les institutions. On n'est pas libre à côté ou en dehors des institutions, mais dans les institutions assumées et subordonnées au charisme. De même, notre liberté ne sera authentique que si nous savons la vivre dans l'affrontement avec la loi ou la règle, c'est-à-dire dans notre condition concrète d'hommes pécheurs, à l'exemple du Christ qui a fait resplendir la liberté des enfants de Dieu dans notre condition charnelle, homme dans la chair, homme sous la loi. Le Christ ne nous appelle pas à une liberté mythique, idéale et vide, une liberté qui serait une évasion des conditions de notre vie, de notre temps, de notre histoire, mais à une libération de l'homme dans l'histoire, dans le monde, dans sa condition d'homme charnel marqué par le péché. C'est dans l'affrontement à cette réalité de l'Histoire du monde et de notre condition charnelle que l'Esprit vit en nous l'œuvre de libération. En assumant les conditions de la vie, les conditions de toute vie humaine, engagement, institution, loi, en les renforçant même dans une certaine mesure, la vie religieuse devrait nous aider à vivre une liberté authentique, à faire surgir une liberté vraie dans les conditions contraignantes de la vie des hommes et des femmes de notre temps, et c'est à ce titre qu'elle peut avoir une valeur exemplaire et prophétique.

 

6. L'OBÉISSANCE RELIGIEUSE

QUELQUES QUESTIONS

Une question est revenue, de façon assez discrète mais insistante, sur l'obéissance. Cela mériterait toute une session. Je soulignerai seulement la perspective dans laquelle il faut aborder ces problèmes. Ce n'est pas l'obéissance en tant que telle qui spécifie la vie religieuse.

Tout chrétien est appelé à être configuré au Christ dans son obéissance au Père. Mais ce qui est spécifique de la vie religieuse, c'est la forme que prend cette obéissance. Pour les chrétiens, elle se vit dans les structures de l'Eglise et du monde; pour un Religieux ou une Religieuse, elle se vit de façon privilégiée dans une communauté ecclésiale particulière. Ce qui est caractéristique de la vie religieuse, ce ne sont ni l'obéissance, ni la pauvreté, ni même la chasteté, mais la manière et le style de vie dans lesquels ces valeurs chrétiennes, qui sont des valeurs communes à tous, sont vécues. Ce qui, dans l'obéissance, est spécifique de la vie religieuse, c'est ce désir de vivre l'obéissance du Fils au Père à travers une communauté particulière. Pourquoi à travers une communauté? Parce qu'on veut se donner à la forme de vie, de témoignage, de service, de cette communauté, et aussi parce qu'il y a peut-être ce désir de vivre, de façon plus radicale et plus constante, la béatitude du serviteur vigilant et fidèle, toujours debout dans l'attente de son maître. Cela encore, tout chrétien est appelé à le vivre et certains le vivent dans leur vie familiale et professionnelle. Le Religieux est quelqu'un qui engage sa liberté et son activité dans une œuvre d'Eglise pour y vivre d'une façon étroite, continue, constante, cette' béatitude du serviteur. Comme nous l'avons vu au sujet de la règle, on renforce en quelque sorte les exigences extérieures pour que rien, dans la vie, n'échappe à ce service d'Eglise qui est service du Christ. Pour nous, aujourd'hui, faire la volonté du Père c'est édifier l'Eglise. Notre obéissance répond donc à notre désir d'entrer de façon plus intense, plus étroite, plus immédiate, dans une œuvre d'Eglise pour y faire la volonté du Père d'une manière qui contribue à faire de la vie tout entière - autant qu'il est possible dans une vie humaine- un service et une adoration. C'est ce «culte spirituel» dont parlait st Paul: «Offrez-vous, vous-mêmes, en hosties vivantes au Christ; c'est là le culte spirituel »

L'obéissance religieuse n'est pas la seule manière chrétienne de faire de sa vie un culte spirituel, mais c'est une manière que l'Eglise a reconnue, acceptée, sanctifiée. C'est dire que l'obéissance religieuse est obéissance à Dieu et non au Supérieur. On obéit à Dieu dans une recherche de la volonté de Dieu. Cette obéissance est aussi l'entrée dans un charisme, dans l'œuvre d'un groupe, pour y vivre la volonté de Dieu. C'est à l'intérieur de cette participation à une œuvre commune qu'elle est obéissance aux directives de la Congrégation, interprétées par les Supérieurs, actualisées par les Supérieurs à qui la Congrégation a donné fonction de promouvoir ce charisme et d'aider les groupes à le vivre.

Ce qui me paraît fondamental, dans l'obéissance, c'est cet engagement dans la béatitude du serviteur. L'important est d'entrer vraiment dans l'œuvre du groupe et non de n'agir qu'avec des permissions. On pourra demander toutes les permissions voulues et ne jamais obéir, comme on peut vivre dans une vie très obéissante, très insérée dans la vie d'un groupe, et n'avoir pas tellement besoin de demander de permissions parce que les choses sont évidentes et que les rapports sont tels que la question ne se pose pas. On coopère ensemble à une œuvre commune.

Le rôle de la responsable n'est pas de faire appliquer des ordres, comme certains exemples des Pères du Désert pourraient le faire penser (le bois sec, la lionne qu'il faut chercher, etc.). Ces histoires de Cassien, reprises par Rodriguez, sont des exemples, non d'obéissance religieuse mais d'ascèse; ils ont une valeur d'ascèse du jugement, d'abnégation de la volonté propre.

Mais l'obéissance religieuse n'est pas d'abord cela. C'est l'entrée dans un service d'Eglise, pour y accomplir la volonté du Père. Voilà ce qui est important et qu'il faut promouvoir. Dans cette œuvre commune, l'autorité a un rôle, c'est certain. Ce rôle peut être très variable suivant les Congrégations, leur style de vie, les communautés, leur taille, leur travail, les membres qui les composent. Dans une communauté de formation, l'autorité aura un rôle plus important peut-être que dans une communauté adulte; dans une grande communauté, elle aura forcément un rôle plus marqué que dans une petite fraternité, mais cela ne veut pas dire que l'on obéira plus dans une grande commu­nauté que dans une petite fraternité. L'obéissance se situe à un niveau différent. L'obéissance au Supérieur est un des moyens de vivre l'obéissance religieuse. Il n'implique pas que le Supérieur soit présent à tout et au courant de tout. Des Religieux ont pu vivre très profondément l'obéissance religieuse dans leur mission, sans avoir toujours un Supérieur à côté d'eux. Saint François Xavier a vécu des années à des milliers de kilomètres de son Supérieur; quand il lui écrivait, les lettres mettaient trois ans pour lui parvenir - si elles lui parvenaient - et la réponse mettait autant de temps pour revenir. Cependant, il a bien eu la certitude d'accomplir sa mission dans un groupe qui était la Compagnie de Jésus, dans le charisme de ce groupe, lié à ses compagnons qui étaient restés en Europe, en union avec eux et en participant à une même œuvre d'Eglise. Je ne peux pas m'étendre sur ce point, mais simplement indiquer une perspective de recherche.


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Vivre de tout son être

Le regard naturel

Bernard UGUEUX

Père blanc, accompagnateur spirituel, professeur de théologie et d’anthropologie à toulouse. Auteur de « retrouver la source intérieure » ed. de l’atelier

Le temps de l'été inaugure pour beau­coup un espace de vacances qui per­met de ralentir le rythme. Sans doute est-ce aussi l'occasion de reprendre goût à la nature, au repos, à la détente physique... Bref, une occasion de "ressentir" autre­ment les petites choses de la vie.

Pour certains, ce sera moins un changement de ryth­me que d'activités, pour d'autres ce sera,

des retrouvailles avec le sport, avec la natu­re, alors que pour les habitants des cam­pagnes, c'est peut-être l'occasion de visi­ter quelques beaux sites artistiques dans des villes historiques ou ailleurs.

On pourrait alors se poser la question: comment regarde-t-on ? Que regarde-t-­on? Comment résonne le mot "contem­pler" ? Dans certaines traditions religieu­ses, l'éducation du regard est essentielle pour se concentrer et s'intérioriser. C'est une des fonctions des mandalas (figures géométriques symboliques) dans le boud­dhisme. Ils sont parfois dessinés sur le sable, avec grand soin, et effacés rapidement en signe de liberté par rapport à l'éphémère de toute réalité, fût-ce la plus belle. C'est ainsi que cette tradition enseigne à "voir l'infini dans le fini des choses et l'éternité dans l'instant qui passe". Dans l'ortho­doxie, l'art de l'icône est aussi une école

, de contemplation par la beauté, car celle-ci est un chemin pour aller vers la splen­deur du Père et la gloire du Transfiguré.

Or, dans cette tradition, celui qui contem­ple se laisse regarder par Dieu ou par le personnage de l'icône, autant qu'elle contempIe. Contempler, c'est accueillir le regard divin de l'amour.

Comment ne pas évoquer alors le regard que Jésus pose sur la nature, les femmes et les hommes de son temps, les événements? Lui qui passe de longues nuits dans la contemplation de son Père, il perçoit toute chose de l'intérieur. Quand il regarde la nature, il évoque le Royaume de Dieu: royaume de confiance et de lumière. Les lis lui parlent de la splendeur de Salomon, mais aussi de la beauté de tout être humain, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Les moineaux lui font penser à l'abandon paisible et joyeux à Celui de qui l'on se sait aimé. Les champs, quand ils sont blonds, invitent à l'espérance de la moisson. Et que dire des troupeaux, des brebis perdues, des bergers vigilants, des loups voraces, de l'en­gagement de pasteur qui va jusqu'à don­ner sa vie?

On peut se demander si Jésus pense à sa mère quand il évoque la main qui enfouit le levain, le balai qui cherche la pièce per­due, les voisines convoquées pour la joie du pauvre quand celui-ci retrouve son mai­gre trésor perdu. Il y aurait aussi tant àdire sur les regards de Jésus qui "espèrent" chacun contre toute espérance: la Samaritaine, Zachée, Mathieu, Marie­ Madeleine, la femme adultère menacée de lapidation, le fils du père miséricordieux, le jeune homme riche, Pierre, si grand et si pécheur à qui il offre de prononcer un vrai engagement d'amour. Jamais, le bon ber­ger n'enferme le pécheur dans sa faute, jamais il ne réduit quelqu'un à son défaut, lui qui n'éteint pas la mèche qui fume enco­re et ne brise pas le roseau froissé...

Alors, dans le fond, cet été, à côté de l'in­dispensable (!) téléphone portable, que pen­ser d'une Bible portative à glisser dans son sac à dos pour changer son regard durant les pauses et apprendre à regarder toute chose de l'intérieur ?


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La prière du cœur

Par jacques GAUTIER

Poète et essayiste professeur à l’université d’Ottawa

 

Art de vivre dans l'Orient chrétien, la répétition du nom de Jésus est appelée" prière de Jésus" ou "prière du cœur". Le livre Les récits d'un pèlerin russe l'a fait connaître en Occident. Je pratique cette forme de prière très simple depuis une vingtaine d'années, surtout durant l'oraison mati­nale, où je reprends cette formule tirée de l'Apocalypse: "Viens, Seigneur Jésus".

Je ferme les yeux et je plonge dans mon cœur, alors le nom de Jésus émerge spontanément. Je suis là, attentif à ce nom que je répète sans effort, parfois au rythme de la respiration. Je le prononce avec foi dans le secret de l'âme et j'y trouve consolation et douceur, malgré les distractions et les sécheresses. Plus je le répète, plus je sombre en Dieu, océan d'amour où je me perds, même si je ne ressens rien. Ce "nom au-dessus de tout nom" (Ph 2,9) me saisit plus que je ne le saisis. Le nom de Jésus est nourriture et protection. Il sauve, guérit, libère. Plus je le goûte, plus j'en ai faim. Plus je l'habite, plus il me conduit au silence. Il est le miel du rocher, le soleil resté intérieur, le baume sur mes lèvres,

le plus court raccourci de la tête au cœur. Je m'abandonne à ce nom qui dé signe l'être même de Jésus et me le rend présent d'une façon mystérieuse. C'est un savoir qui dépasse tout ce que je pourrais en dire.

Où que j'aille, le nom de Jésus m'accompagne comme un ami: à pied, en vélo, en voiture, en train, en avion... Je le trouve en tout lieu. C'est devenu une douce habitude de le répéter, même chez le dentiste ou dans une file d'attente. "Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus Christ" (Col 3,17).

Quelquefois j'oublie de le dire, à d'autres moments j'y pense et le nom vient tout seul. Parfois, Je m'endors en le murmurant intérieurement, mais rarement en me réveillant. Mes parents l'ont prononcé à ma naissance et à mon baptê­me, j'espère qu'il sera mon dernier mot au jour de mon entrée dans la vie. Jésus m'appellera alors par mon nom et nous nous reconnaîtrons, sûrs de sa paro­le : "Réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux" (Lc 10,20)..

 

Jacques Gauthier publie, ce mois-ci, Prier: pourquoi et comment, aux Presses de la Renaissance, en partenariat avec Prier (voir page 34). Prier n° 0 283 Juillet-Août 2006

 


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« un coeur printanier »

A longueur d’année, les hommes politiques et les journaux parlent des jeunes- de leurs problèmes, revendications, actes de violence aussi. Tandis que la médecine autant que la publicité se réfèrent largement à une mirifique image de la jeunesse, visage lisse,  corps souple et ferme, santé et dynamisme- qu’aucune mort ne viendra interrompre.

Ainsi, désormais une maladie, une épreuve, un décès paraissent d’autant plus rudes, voire inadmissibles. Nous avons presque oublié, en Occident, dans les pays riches, que nous sommes mortels. Nous nous employons à combattre les épidémies, à prévoir inondations et cataclysmes, nous nous mobilisons afin que soient trouvés de nouveaux vaccins, mais rarement nous nous préparons à la mort, à la « bonne mort » comme on disait encore au XIX° siècle.

La conséquence et la suivante : plus les individus veulent rester jeunes, et plus ils se mettent sous le joug du temps, terrifiés par les ans qui passent. Or le choix qui s’offre à chacun en cette existence ne se situe pas entre vieillir et rester jeune, mais entre devenir vieux et devenir sage !

Aller vers la sagesse est un dépouillement et un liberté, cela rend léger et disponible, prêt  à toutes les rencontres, à tous les possibles. « Prends soin de ton âme »  disait Socrate, nourrir sa vie intérieure c’est goûter la profondeur.

J’aime cette injonction de Rabbi Nahman de Braslaw (1772- 1811) grande figure du hassidisme : « Il est interdit d’être vieux » ! Il aurait pu dire aussi  bien : il est interdit d’être triste, aigri plaintif, rancunier.. On devient vieux quand on se laisse envahir par les récriminations et la rancœur, quand on ne sait plus que geindre ou s’apitoyer sur soi ; quand on refuse de s’attendri, de s’étonner, de partir à la découverte. Au fond, il ne s’agit pas de rester jeune, mais d’être neuf. DE garder un esprit de fraîcheur, un cœur printanier ;

Ainsi, je suis ravie lorsque je découvre, dans le panier, une pomme de terre qui germe, en silence ; ou des pousses vertes  et drues qui sortent d’un oignon acheté en automne. Le secret a été bien gardé, mais maintenant  il éclate : le printemps est arrivé. Bulbes, graines et tubercules ont donné passage à des forces nouvelles, humblement, intérieurement. A leur façon, ils « chantent un chant nouveau »

             De Jacqueline KELEN, auteur de «divine blessure » et l’esprit de solitude » et du sommeil et autres joies déraisonnables » Albin Michel (1006)

 


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Goût de vivre

Goûter.. verbe traduit en latin par « sapere », qui a donné naissance au mot de sagesse.

Invitation à faire la part des choses sur le chemin de la vie.

Peut-être d’abord reconnaître que tout ne dépend pas de soi-même : qu’il est des réalités dont on n’a pas      la maîtrise, qui s’imposent et pèsent lourd sur le cœur;  alors, il importe de ne pas se culpabiliser de ressentir des moment de dégoût, de tristesse, d’anxiété. S’il apparaît que certains sentiments négatifs reviennent régulièrement et entravent le mouvement de la vie,  il est nécessaire de discerner ce qui n’est pas juste dans certaines attitudes face à soi-même, aux autres, éventuellement à Dieu. C’’est alors que se pose la question de ce qui dépend de soi. Il ne s’agit pas de confondre  la perfection avec la sainteté, une illusoire maîtrise absolue de soi-même avec l’accueil de la fragilité. La sainteté, c’est la pauvreté d’un amour qui continue à s’offrir et à accueillir en s’appuyant sur la grâce qui ne fait jamais défaut.

De tels choix de sagesse au cœur de la morosité et du dégoût- décider de ne pas se fermer et d’accueillir ses propres limites- ne sont possibles que dans un mouvement d’acceptation qui ne dépend pas que de la volonté personnelle. C’est une décision à prendre, mais c’est aussi une façon de se disposer à un don qui vient de la rencontre d’un désir, alors qu’il semble ne plus y avoir d’avenir.

Pour le chrétien, c’est le moment de se souvenir de cette invitation du Seigneur : « Venez à Moi, vous qui peinez, et vous trouverez le repos » (Mt. 11,28)  Il existe un repos du cœur qui est pure grâce, qui se vit en Dieu. Reposer en Lui, c’est se détourner de ses ruminations- parfois légitimes- pour se tourner vers la lumière d’une présence qui se laisse deviner. C’est sur elle-même que pleurait Marie-Madeleine, au point de ne pas reconnaître la voix du Bien Aimé qui lui parlait; C’est dans  sa façon de prononcer son nom qu’elle a reconnu celui que son cœur aimait. Et jaillit alors le mouvement de la vie dans la libération du désir.. (jean 20 , 15-17)

S’il est exact que « les vrais regards d’amour sont ceux  qui nous espèrent » (Paul Baudiquey) alors, il est important  de croire, et c’est une décision d’espérance, que Quelqu’un ne nous laissera jamais seuls, quelle que soit la profondeur de nos échecs, de nos déceptions, de nos peurs qui obscurcissent l’horizon.

Le Christ ressuscité continue à prononcer notre nom et à nous attirer vers le Père. Il croit encore et toujours en nous, et nous invite avec insistance : » laisse-toi aimer, choisis la vie.. » Car ce qui fait perdre le goût de vivre ce n’est pas que l’Amour ne s’offrirait plus, mais bien que le cœur ait cessé de le désirer. Alors, il ne reste plus qu’à se tourner vers la lumière, comme un mendiant d’amour, en reprenant  ce refrain avec les Frères de Taizé : » Dans nos obscurités, allume le feu qui ne s’éteint jamais, qui ne s’éteint jamais. »

 Bernard Ugueux  dans Chronique « prier » avril 2006      auteur « retrouver la source intérieure».(de. de l’atelier.)

« On peut mener toute une vie de chrétien, sans avoir expérimenté cette présence intérieure ; mais quand on a découvert au fond de soi, ce lieu de rencontre avec la transcendance, cette source intérieure, on ne peut plus rester tranquille». Marie, religieuse de la Charité de Nevers.

« Atelier intériorité » dans ce livre « retrouver la source intérieure » de B. Ugueux.. Prier  janv.fév.2002

3 étapes dans cet itinéraire vers la vie intérieure :

- 1/ se relaxer et prendre conscience de son corps pour s’initier à l’écoute intérieure.

- 2/ expérimenter une posture, un mode de respiration qui introduisent  à la prière du cœur

-3/ s’exercer à un discernement des émotions pour se mettre à l’écoute de la Parole.

 


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 « Commencement de la sagesse : acquiers la Sagesse » Pr. 4,7 a

 et « Commencement de ‘ l’acquérir ‘ : acquiers une femme « Si 36, 29 a

Jetons un coup d’œil sur le récit du sage qui ouvre la Genèse. Le serpent sape la vie en empoisonnant  les relations par l’envie et la convoitise qui transforme les partenaires en rivaux, en objets à prendre.. Si le serpent  de l’envie donne la mort ( Sag 2, 24 b) de son refus et du choix de la vérité émerge une espérance.. Lorsque la femme répond au Seigneur : «  le serpent m’a trompée et j’ai mangé » (Gn 3,14) que fait-elle sinon démasquer le mensonge du serpent ? Elle dénonce l’envie comme trompeuse et rend ses droits à la vérité; la parole de vérité de la femme fait renaître l’espérance. Comment apparaît la figure de la femme ? Elle est souvent du côté de la vie, même et peut-être surtout lorsque celle-ci est menacée de mort, comme dans l’histoire de la Sagesse de Salomon avec les 2 femmes et l’enfant. En Gn. 38, Tamar est la femme que Juda donne en mariage à son premier puis à son deuxième fils qui meurent l’un et l’autre sans enfant ; la femme déploie toute son habileté pour amener Juda à lui donner un fils et à reconnaître ses torts envers elle. Une fois la vérité rétablie, la vie peut naître : ce sont deux fils que Tamar enfante.

La sagesse est un art de vivre et de parler en sorte que la vie se fraie un chemin dans la mort et que la finitude devienne lieu d’épanouissement du désir au lieu d’en signifier la frustration. Or en quel lieu chez l’être humain cela peut-il se réaliser mieux que dans l rencontre des sexes ? Dans la Genèse,  la première définition de la femme celle que donne le Seigneur dieu c’est « un secours comme son vis-à-vis ? » (2,18) Selon le récit, c’est le secours essentiel qui doit permettre à l’humain d’échapper à ce qui n’est pas bien pour lui, l’isolement et la mort. C’est un vis-à-vis qui selon les harmoniques du terme hébreu est communication et échange, mais aussi confrontation et opposition.

Ce vis-à-vis  lui permet d’accéder au langage : l’homme nomme la femme, il la reconnaît pour ce qu’elle est avant de découvrir  sa propre identité dans la différence qui marque  la similitude (2,23) mais il y a là aussi une voie d’accès à la Sagesse : dans la mesure où distance est prise  par rapport aux relations fondatrices (v. 24) homme et femme ensemble peuvent devenir sages, avisés. (v. 25)

Une juste relation où est respecté le désir de chacun et donc aussi ce qui lui est singulier et qui résiste à l’autre est une voie de sagesse. Expression d’une telle relation, la rencontre des sexes atteste la victoire de la vie; la jubilation de la vie épousant la mort est une voie de sagesse mais aussi chant d’espérance, la femme ressemble à la sagesse, elle aussi  plus précieuse que les perles ( Pr. 3,15 ; 8,11 ; 31,10)  dans la rencontre authentique de l’autre, l’être humain reçoit la faculté d’expérimenter que la vie peut naître et s’épanouir là où le désir et la limite sont également valorisés. Ainsi la relation homme et femme, et plus largement toute rencontre d’autrui dans altérité irréductible constitue une école de sagesse et de bonheur.  Et Ben Sira dira : «  Sans femme, sans cette autre face à qui il se découvre, l’homme erre et vagabonde dans l’existence à l’instar de Caïn après la mort d’Abel. « Sans mur, la vigne est incendiée : sans femme, l’homme est à l’errance. » Si 36, 30

« La vigne est incendiée » La vigne,  dans la Bible est aussi le lieu de l’amour (Os. 2,17 ; Is. 5,1 ; Ct 2,15 ; 7, 13). Or dans l’histoire de Samson c’est dans les vignes que le lion menace l’homme. Car l’amour, chemin de sagesse et de vie, ne va pas sans danger. Pour accéder à l’amour, pour rencontrer la femme, il importe de maîtriser le fauve. Et le fauve est ce qui provoque la peur. De fait, au premier abord, l’altérité fait peur. Elle suscite des réactions de défense, souvent agressives.

Dès lors, accéder à la Sagesse suppose que l’on puisse maîtriser l’animal intérieur  qui menace et fait peur, cette force qui, en tout humain , compromet les chances de l’amour : la peur de l’autre, l’envie de le neutraliser, voir de le nier. .

Mais comment maîtriser le lion, ce qui pousse un homme à agresser l’autre dont la différence l’insécurise ? Et d’abord, d’où vient cette peur de l’autre ? Ne vient-elle pas de ce qu’il me renvoie à l’autre qui est en moi, à cet étranger que je suis pour moi-même et qui me fait peur dans la mesure où sa présence en moi me fragilise, m’ôte la maîtrise de moi-même ? Le texte de la création  de l’homme est clair : tout être humain , ‘adam, se reçoit mâle et femelle(Gn 1, 27) ; au plus profond de l’être humain , la femme est os de mes os et chair de ma chair et elle attend d’être reconnue, nommée, pour qu’il puisse savoir qui il est (2,23) . C’est pourquoi, pour les sages du Talmud,  qui n’a pas connu la femme ne peut  être appelé adam, être humain.

La sagesse qu’enseigne la rencontre authentique avec l’autre suppose donc un préalable.

Est sage qui accepte sa propre étrangeté, qui sait qu’on ne se possède jamais, que toujours il faut chercher à marier en soi l’homme et la femme pour rendre féconde la vie, la parole et l’agir.

N’est-il pas symptomatique à cet égard que les mots hébreux désignant la sagesse soient féminins ?

 (hokmah= sagesse ; bînah=intelligence , discernement ; ormâh= subtilité ; finesse, sagacité ; da’at= connaissance ; tûshiyah= sagesse-efficace ; etsah=conseil)

La sagesse pourrait donc être le fruit d’une recherche incessante de réconciliation avec soi-même, source de fécondité.

C’est ce que me donne à penser ce passage du livre des Proverbes où l’invitation : 

«Bois l’eau de ta propre citerne »est explicitée plus loin par ces mots: « jouis de la femme de ta jeunesse. »

« Bois l’eau de ta propre citerne, celle qui sourd du milieu de ton puits :

Tes sources déborderont au-dehors et dans les rues, à pleins ruisseaux..

Que ta fontaine soit bénie : jouis de la femme de ta jeunesse. »

 Prov. 5,15-16.18

Ces paroles sont un avertissement  à ne pas lorgner ailleurs avec envie, à ne pas chercher hors de soi ce qui est enfoui en soi, là où le désir d’être soi peut être reconnu comme trace d’un Dieu qui appelle chacune et chacun par son nom. La convoitise serait ici la tentation de devenir soi en faisant comme les autres, mais « loin de se frayer  une voie vers la vie, ses sentiers se perdent tu ne sais où » Pr. 5,6.

Ainsi une juste relation à soi-même ressemble à ce mur gardant la vigne de l’amour où la sagesse peut croître et l’espérance fleurir, puisque l’union entre l’homme et la femme est promesse de descendance, promesse d’avenir.  (Ps. 128, 2-6)

André Wénin, prêtre du diocèse de Namur dans « la Sagesse une chance pour l’espérance » cerf


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Sagesse compatissante :

Nous sommes appelés, aujourd’hui plus que jamais,  comme marcheurs sur le chemin de l’évangile,  à conjuguer espérance et sagesse. Il n’y aura pas de monde nouveau sans sagesse. Il n’y aura pas de monde nouveau sans l’audace de l’évangile.

La loi du marché économique, c’est la compétitivité ; la nôtre, c’est la solidarité et la compassion.

Notre critère, c’est l’homme pauvre et l’éthique communautaire, pas le profit et le marché global.

Il faut avoir un certain sens du quotidien, un respect profond des corps, des cultures de la liberté et des actions compatissants, des expériences de désirs, d’actes, de paroles et de gestes auprès des exclus de toute sorte.

En Occident, beaucoup cherchent une réponse à la misère dans une spiritualité orientale et parfois ésotérique. Ce qui est différent séduit. S’il est vrai qu’on doit rechercher l’autre et sa différence comme source de renouvellement et d’équilibre ; il est vrai aussi que nous n’avons pas réussi à puiser de notre puits toute l’eau nécessaire à notre soif : il y a des profondeurs dans le christianisme que nous n’avons pas encore bien fouillées.

Comme disaient les Pères de l’Eglise:« Plus tu tires d’eau du puits, plus elle devient pure et cristalline ». Boire l’eau de notre puits non pas pour méconnaître d’autres sources, mais pour maintenir limpide la nôtre.

« Bois l’eau de ta propre citerne, l’eau jaillissante de ton puits. » Pr. 5,15, pour que tu puisses quitter la source bénie de ta communauté de foi qui te fait vivre  dans la joie et la partager à d’autres, sans l’arrogance de celui qui pense être propriétaire du puits de la liberté et de la vérité.

« Mais ce trésor nous le portons en des vases d’argile, pour que cet excès de puissance soit de Dieu et ne vienne pas de nous » 2 Co 4,7.

C’est cela que les pauvres nous disent au cours de leur vie terre à terre et souffrante et par leurs exemples de solidarité et d’amour : la source jaillit, l’eau est vivante, le puits inépuisable.

Une nouvelle humanité peut entrer dans l’histoire si nous faisons le mariage de l’espérance et de la prophétie. Alors nous verrons naître un bébé appelé sagesse, cette recherche mystérieuse de l’homme qui veut bien plus être heureux que pousser des cris inintelligibles ou faire des projets très théoriques.

La sagesse nous enseigne  à être doux, à avoir le cœur pur, à nous respecter nous-mêmes et les autres et à voir Dieu, l’Eternel en tout ( Mt. 5, 1-12). Elle nous permet de contempler et de partager  avec la force du témoignage ce que nous avons vécu dans des situations extrêmes. Nous pouvons montrer avec nos yeux et par le contact de nos mains quelque chose qui dépasse la limite du visible.

Voir l’invisible, c’est la grâce du sage.

Au cœurs de ma petite expérience de 18 ans dans les favelas j’ai vu quelques traces d’une nouvelle manière d’être  un fils de Dieu et d’être une personne ; j’ai découvert en communauté comment on peut vivre l’amour dans la lutte et après le combat, mettre sur la table de l’eucharistie les corps avec la sueur du travail pour les transfigurer par ce sacrifice. Avec les pauvres, nous pouvons jeter les masques, être transparents, voir les cœur et être vus en profondeur, connaître et être connus ; » 1 Co 13, 12

Selon maître Eckhart : «  J’ai eu parfois recours, moi aussi, à une comparaison très simple : «  Quand un maître fait une statue en bois ou en pierre, il n’introduit pas l’image dans le bois ; il enlève, au contraire, les éclats qui cachaient et couvraient la statue. Il n’ajoute pas au bois, il lui enlève quelque chose, il fait tomber sous son ciseau tout l’extérieur et fait disparaître la rouille, et alors peut resplendir ce qui se trouvait caché au-dedans. »  

Nous sommes acculés à traduire l’espérance en sagesse et à la suspendre à l’éternité.

Selon maître Eckhart : « Saint Augustin demandait ce qu’est la vie éternelle ? Interroge et écoute la vie éternelle elle-même ! Personne ne sait mieux ce qu’est la chaleur que celui qui a la chaleur en lui ; personne ne sait mieux ce qu’est la sagesse que celui qui possède la sagesse ; personne ne sait mieux ce qu’est la vie éternelle que la vie éternelle elle-même. »

Fernando Altemeyer, dans «  sagesse, chance pour l’espérance. » Cerf.


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«Cherche Dieu et ne cherche pas où Il habite.» Abba Sisoés

Sagesse des Pères

A méditer

Dès le IIème  siècle, des hommes et des femmes partirent dans les déserts d'Egypte et de Gaza afin de prier et de méditer la Parole de Dieu. Très vite nombre de leurs contemporains prirent l'habitude d'aller les ren­contrer, sollicitant de la part de ces "Pètes du désert" ("abba" : père) une paro­le qui leur permettrait de donner un sens, une direction à leur vie. Aujourd'hui, c'est nous qui nous tournons vers cette sagesse chrétienne bimillénaire...

Très souvent, nous avons tendance à penser que pour s'approcher de Dieu, des conditions matérielles doivent être réunies. Ainsi, par exemple, il nous faut être au calme, de préférence dans un. Beau cadre afin de faciliter notre recueille­ment. Dans notre recherche nous pouvons aussi souhaiter le soutien d'une belle musique ou de chants, de fleurs...

Mais prenons garde ! Si tous ces éléments matériels sont certes importants, ils risquent de constituer, au final, un obstacle à notre prière. Il est bien rare, en effet, qu'ils soient réunis, et nous avons alors du mal à trouver au quotidien le "lieu idéal" où celle-ci sera à son apogée !

C'est donc avec beaucoup d'attention que nous sommes invités à écouter cette Parole d'abba Sisoés, qui nous conseille de chercher Dieu et non le lieu où Il habite. En effet, et c'est fort heureux, Dieu ne nous attend pas seulement dans un beau paysage, ou, dans une magnifique église romane ou gothique ! Dieu est partout, que ce soit dans une rame de métro bondée, ou dans le regard de ce SDF, qui transi de froid ou écrasé par la chaleur, n'a pour maison, que cette tente peu esthétique au bas de notre immeuble.

N'attendons pas de réunir les conditions idéales pour désirer chercher Dieu. Ecoutons plutôt cet appel d'Angélus Silésius, mystique chrétien du XVIIe siècle qui nous lance comme un cri: "Où cours-tu? Le ciel est en toi !" Oui, le ciel est en chacun d'entre nous et dans ceux et celles qui nous entourent. Avec le Christ, ce qui est désormais sacre ne sont pas nos bâtiments, mais l'Homme! Alors, tout simplement, prenons le temps de nous tourner vers Dieu à tout moment et quel que soit l'endroit. Et n'attendons pas la perfection matérielle pour trouver la plénitude...

par Patrice Gourrier - Prêtre du diocèse de Poitiers, il anime des sessions sur la prière du cœur et la paix inté­rieure au sein de l'association Talitha Koum qu'il a fondée.


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Toutes choses nouvelles
Une nouvelle année sous le signe de la nouveauté ! Ce n'est pas très original. Cependant, en ces temps de crise, nous sommes assaillis d'appels à la reconstruction, à l'édification d'un monde nouveau. Les modèles anciens ont fait faillite, au sens figuré, mais surtout au sens propre, et une fois encore les plus pauvres paieront le prix fort.
 Quoi de neuf pour cette année? Prendre au sérieux les déclarations faites, la main sur le cœur par les responsables politiques, économiques, culturels : il faut mettre la personne au cœur de tous nos systèmes. Il faut, nous dit-on, apprendre à nouveau la confiance. Chiche. Je suis prêt à relever le défi de cette double invitation: faire confiance à la personne humaine. À deux conditions: pour prendre les orientations nouvelles, décidons que des personnes nouvelles auront voix au chapitre.
Et d'autre part que la personne ne soit pas réduite à son expression marchandisée.
Qui va reconstruire ? Ceux et celles qui depuis cinquante ans nous disent que le marché marche tout seul, qu'il s'autorégule pour le plus grand bonheur de tous? Pas d'accord. Je souhaite que celles et ceux que nous désignons souvent sous le qualificatif abusif de «sans-voix» puissent prendre la parole. En effet, ils ne sont pas sans voix, mais c'est notre monde qui est «sans oreille» pour les entendre, et ceci depuis des années. Si ces personnes structurellement écartées de tous les lieux de décision ne participent pas enfin à la négociation, pourquoi voulez-vous que l'on fasse du neuf. L'on ne met pas du vin neuf dans des outres vieilles, nous dit l'Écriture. Depuis le niveau paroissial, municipal ou associatif, jusqu'au niveau national et international, en passant par le municipal et le régional, invitons les plus pauvres à la discussion.
Je sais que cela n'est pas facile tant les capacités d'expression et d'analyse sont différentes entre ces mondes. Il est révolu le temps où l'on travaillait « pour » ceux qui peinent sous le poids de la misère. C'est bien « ensemble » que les démarches de reconstruction doivent être entreprises. Le monde syndical et associatif en fait l'expérience depuis longtemps lorsqu'il prend au sérieux le principe du partenariat, de la cogestion, de la collégialité, de l'alliance véritable. J'attends donc de ceux qui détiennent aujourd'hui le pouvoir dans la société qu'ils nous disent clairement comment ceux qui étaient muets seront invités, non pas à donner leur témoignage émouvant, mais à participer à la réflexion et à la prise de décision.
Pour quelle personne reconstruire? Si celle-ci est réduite à son rôle de consomma­trice, d'agent d'exécution, d'électrice ou de paroissienne docile, rien ne changera. Plus que jamais est venu le temps de dire la diversité complexe de chaque personne, sa matérialité et sa spiritualité mêlées, son appétit d'aimer et d'être aimé, sa soif de vivre bien aujourd'hui en s'inscrivant dans un passé au service d'un futur, son radical besoin d'identité et sa quête d'ouverture, sa soif de liberté et sa capacité de fidélité. En un mot que nos sociétés prennent le risque de la complexité et de là transcendance qui animent chaque personne.
Là encore les discours et les déclarations ne suffisent pas. La reconnaissance de la personne dans sa plénitude impose des changements dans nos comportements personnels. L'autre est si dérangeant, surtout en ces temps de peurs. Il nous faut aussi repenser l'urgence du débat, dans nos démarches individuelles comme dans la vie sociale... Non pas le « bla-bla » de la superficialité mais l'échange qui permettra de ne pas réduire la personne à sa seule apparence, à ses convictions exprimées, à son statut social ou à sa couleur de peau. Oui, appréhender chaque personne comme « source » pour moi-même et pour tout le groupe social. L'autre,Toutes choses nouvelles
Une nouvelle année sous le signe de la nouveauté ! Ce n'est pas très original. Cependant, en ces temps de crise, nous sommes assaillis d'appels à la reconstruction, à l'édification d'un monde nouveau. Les modèles anciens ont fait faillite, au sens figuré, mais surtout au sens propre, et une fois encore les plus pauvres paieront le prix fort.
 Quoi de neuf pour cette année? Prendre au sérieux les déclarations faites, la main sur le cœur par les responsables politiques, économiques, culturels : il faut mettre la personne au cœur de tous nos systèmes. Il faut, nous dit-on, apprendre à nouveau la confiance. Chiche. Je suis prêt à relever le défi de cette double invitation: faire confiance à la personne humaine. À deux conditions: pour prendre les orientations nouvelles, décidons que des personnes nouvelles auront voix au chapitre.
Et d'autre part que la personne ne soit pas réduite à son expression marchandisée.
Qui va reconstruire ? Ceux et celles qui depuis cinquante ans nous disent que le marché marche tout seul, qu'il s'autorégule pour le plus grand bonheur de tous? Pas d'accord. Je souhaite que celles et ceux que nous désignons souvent sous le qualificatif abusif de «sans-voix» puissent prendre la parole. En effet, ils ne sont pas sans voix, mais c'est notre monde qui est «sans oreille» pour les entendre, et ceci depuis des années. Si ces personnes structurellement écartées de tous les lieux de décision ne participent pas enfin à la négociation, pourquoi voulez-vous que l'on fasse du neuf. L'on ne met pas du vin neuf dans des outres vieilles, nous dit l'Écriture. Depuis le niveau paroissial, municipal ou associatif, jusqu'au niveau national et international, en passant par le municipal et le régional, invitons les plus pauvres à la discussion.
Je sais que cela n'est pas facile tant les capacités d'expression et d'analyse sont différentes entre ces mondes. Il est révolu le temps où l'on travaillait « pour » ceux qui peinent sous le poids de la misère. C'est bien « ensemble » que les démarches de reconstruction doivent être entreprises. Le monde syndical et associatif en fait l'expérience depuis longtemps lorsqu'il prend au sérieux le principe du partenariat, de la cogestion, de la collégialité, de l'alliance véritable. J'attends donc de ceux qui détiennent aujourd'hui le pouvoir dans la société qu'ils nous disent clairement comment ceux qui étaient muets seront invités, non pas à donner leur témoignage émouvant, mais à participer à la réflexion et à la prise de décision.
Pour quelle personne reconstruire? Si celle-ci est réduite à son rôle de consomma­trice, d'agent d'exécution, d'électrice ou de paroissienne docile, rien ne changera. Plus que jamais est venu le temps de dire la diversité complexe de chaque personne, sa matérialité et sa spiritualité mêlées, son appétit d'aimer et d'être aimé, sa soif de vivre bien aujourd'hui en s'inscrivant dans un passé au service d'un futur, son radical besoin d'identité et sa quête d'ouverture, sa soif de liberté et sa capacité de fidélité. En un mot que nos sociétés prennent le risque de la complexité et de là transcendance qui animent chaque personne.
Là encore les discours et les déclarations ne suffisent pas. La reconnaissance de la personne dans sa plénitude impose des changements dans nos comportements personnels. L'autre est si dérangeant, surtout en ces temps de peurs. Il nous faut aussi repenser l'urgence du débat, dans nos démarches individuelles comme dans la vie sociale... Non pas le « bla-bla » de la superficialité mais l'échange qui permettra de ne pas réduire la personne à sa seule apparence, à ses convictions exprimées, à son statut social ou à sa couleur de peau. Oui, appréhender chaque personne comme « source » pour moi-même et pour tout le groupe social. L'autre, y compris celui qui nous apparaît aujourd'hui comme le moins utile, est aussi un puits. C'est une Bonne Nouvelle. Alors nous pourrons tisser le lien social et faire de la politique autre­ment, vivre la démarche religieuse et faire- ' Église autrement, exercer la solidarité et créer des réseaux nationaux ou mondiaux autrement.
Dès que l'on rencontre vraiment l'autre, pour certains le Tout Autre, la nouveauté n'est pas loin.

Guy AURENCHE - Avocat


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«Jésus le prophète qui parlait aux femmes comme à des sœurs
ENTRETIEN AVEC ELISABETH DUFOURCQ, - docteur en sciences politiques


Dans votre ouvrage, vous vous êtes intéressée à l'histoire des chrétiennes sur 80 générations! Pourquoi ce thème?
Je me suis lancée dans ce travail sans idée préconçue et sans adhérer à aucune chapelle. C'est progressivement que s'est dégagée une évidence: depuis vingt siècles, seul le Christ dialogue avec les femmes. Dans les Évangiles, Jésus de Nazareth leur parle comme à des sœurs. Il attend leur réponse et en tient compte. Au-delà de leur condition sexuée, il leur donne leur identité personnelle. Il est à la fois fraternel et reconnu par elles comme autre. Les apôtres, eux, ne comprennent rien au pourquoi de ce dialogue. Ils en sont choqués. Les quatre évangélistes le disent honnêtement. Or, dès les Actes des Apôtres, ces apôtres prennent en mains le christianisme, à leur manière d'hommes. Si on persiste à privilégier la tradition apostolique au détriment des Évangiles, ne risque-t-on pas de réduire au masculin le message du Christ ?

À la lecture de ces Évangiles, vous qui êtes chrétienne, comment définiriez-vous le lien qui unit le Christ aux femmes?
Les femmes ont souvent compris mieux que les apôtres ce que Jésus voulait dire. Elles ne le critiquent jamais. Elles l'entendent « sur la même longueur d'onde ». Lors du dimanche de Pâques, elles comprennent « qui » est le Ressuscité. Une femme sait, lorsqu'elle enfante, qu'il y a des choses qui ne dépendent pas d'elle. Le Christ, lui-même, prend pour image l'enfantement pour parler de la Résurrection. La douleur de la Passion, c'est le passage à un mode de vie qui dépasse la mort. Cela, les hommes le comprennent difficilement. Ils ont du mal à saisir que le royaume des deux ne se construit pas comme un temple mais grandit comme un arbre. Il ne ressemble ni à une armée, ni à une tour, mais il grandit comme un « grain de sénevé ».
Des premiers siècles à aujourd'hui qu'est-ce qui a changé dans le rapport qu'a eu l'Église aux femmes ? Quelles en furent les étapes marquantes ?
Dès les origines, avant même la conversion de Paul, les femmes qui : suivi le Christ sont écartées apôtres des ministères de la parole la prophétie, de la célébration de l’eucharistie et du pouvoir. Seul Paul donne le nom de sœur et de « diacre de l’Eglise à une de ses protectrices, Phoebée. En Orient, cette fonction de diaconesses subsistera longtemps. En Occident marqué par la misogynie de saint Augustin, elle sera vite dévalorisée. aux IIe et IIP siècles, les femmes sont pourtant les plus nombreuses parmi baptisés, les hommes restant souvent catéchumènes jusqu'à leur lit de mort pour garder une fonction dans l’empire romain, qui rejette les baptisés .
Une partie importante des Évangiles qui forment le cœur inaltérablet du christianisme, n'a pas été accessible aux femmes, ni à l'ensemble des laïcs, jusqu'au XVIe siècle, dans les confessions réformées, et jusqu'au XX:siècle, dans la confession catholique. Dans les liturgies des dimanches, on lisait des passages d'Évangile qui,. pour des pratiques, furent, dès le IIème siècle, limités à environ un dixième du texte intégral. La culture religieuse devint imagée et limitée à de grand thèmes contrôlés. Ni Cartherine de sienne, ni Thérèse d'Avila n'avaient lu intégralement les Évangiles. Malgré cela, le christianisme apporta une dignité aux femmes de tous les jours : l'accès aux sacrements, le principe de la monogamie, le respect du dimanche...
Si le discours d'Église devint misogyne, parfois jusqu'à la passion, les femmes furent néanmoins considérées comme es égales des hommes aux yeux du Christ.
Le célibat des prêtres a-t-il joué un rôle important dans la méfiance envers les femmes?
Du IVe au IXe siècle, les femmes d’empereurs, puis de rois, les Mérovingiennes entre autres, furent parfois des femmes de pouvoir à faire peur. Mais le rejet obsessionnel de la femme née du désir de l'homme s'est surtout manifesté en Occident, à partir du XIe siècle, lorsque l'obligation du célibat devint effective. Sortant d'une période de décomposition, la papauté organisa l'Eglise comme un monastère. Les compagnes d'évêques et de prêtres furent renvoyées hors des palais épiscopaux et des presbytères. La lutte dura plus d'un siècle. À cela s'ajouta, après la peste noire puis la prise de Constantinople, l'avancée angoissante de l'islam presque jusqu'à Venise. À cette époque, l'Europe implose. Il lui faut trouver des boucs-émissaires. Ce seront les femmes, sages-femmes ou « magiciennes » de nos contes, livrées en grand nombre au juge civil et condamnées au bûcher comme sorcières.
La culture antique n'est-elle pas aussi aux origines de la misogynie chrétienne?
Je le pense. Selon Aristote, la femme est un avorton d'homme. Pendant des siècles, c'est une donnée tenue pour scientifique et juridique. La femme est la terre que l'homme laboure et ensemence, dans le Coran comme chez les Pères de l'Église, très inspirés par la culture grecque. Mais cela n'a rien à voir avec l'Évangile. Le Christ, lui, ne parle jamais ni d'Eve, ni du péché originel, ni de « la femme » comme concept.
Les Lumières, qui commencent avec Descartes, vont totalement inverser notre mode de pensée. Cela va-t-il influencer l'Eglise?
Pas assez. Les catégories d'Aristote,les préceptes de saint Paul et les conclusions de Thomas d'Aquin sont encore utilisés de nos jours, comme par « coupé collé », de façon déductive, même dans ce qu'ils ont de plus culturellement daté. Dans certains essais théologiques, les Évangiles finissent par être noyés dans ce qui n'est plus que l'histoire de la théologie. C'est une méthode qui ne permet pas de prendre en compte les avancées scientifiques actuelles. Descartes, qui est chrétien, invente plutôt une méthode inductive qui part non d'une vision dogmatique du monde, mais du doute intelligent qui accepte et surmonte l'erreur. Dès lors, des clercs cartésiens s'interrogent méthodiquement sur la «nature de la femme » et constatent que l'entendement humain est identique chez les deux sexes. Rousseau retourne hélas au mythe de la « nature de la femme », bref du sexe faible. Malgré Condorcet, c'est, avec Robespierre, ce point de vue qui va dominer et qui, avec Napoléon Ier, sera codifié pour plus d'un siècle. Ce que l'on garde des Lumières, c'est l'ironie. Et elle est vitale. Elle met en contradiction avec eux-mêmes des modes de pensée cléricaux devenus iniques. Songez qu'en 1930, le pape se prononce encore explicitement contre l'émancipation de la femme. Ceci, à l'heure même où des ingénieurs, les scientifiques et les médecins progressent jusqu'à libérer les femmes d'un fatum ancestral.
Quel regard portez-vous sur l'Eglise d'aujourd'hui vis-à-vis de la question des femmes?
L'Église doit impérativement changer son regard sur les femmes. Elle semble fatiguée d'être depuis si longtemps confinée entre hommes célibataires. Les propos misogynes qui ont échappé voici peu à l'archevêque de Paris (lire édito en p. 5) témoignent d'un décalage entre la formation cléricale et l'évolution du monde actuel. On comprend que des femmes n'aient aucune envie de s'initier à la théologie d'un clergé encore pétri de tels préjugés inconscients. C'est le piège : lorsqu'on évite le débat trop longtemps, il pourrit
À quelle période situez-vous ce « pourrissement » du débat sur les femmes dans l'Église?
Le concile de Vatican II (1962-1965) avait créé de grands espoirs et permis de balayer des archaïsmes par un retour aux Evangiles. Mais le réflexe masculin fut plus fort. Le grand tournant raté se situe, en 1968, lorsque l'encyclique Humanae vitae interdit au couple de juger en conscience des avantages et des inconvénients du progrès scientifique pour bâtir leur famille. Il n'y est question que de « paternité responsable »! Or, les médecins le savent: ce sont les femmes qui portent les enfants et auxquelles la science donne, à leurs risques et périls, la possibilité d'espacer les naissances. Depuis, beaucoup de femmes et d'hommes de bonne volonté ont quitté l’Eglise à bas bruit qu'une nouvelle crispation i le mouvement. On voudrait que s’instaure enfin un dialogue, entre dignitaires de l'Église catholique, les femmes et les laïcs de tous les jours, ceux qui sont le tiers-état chrétien. C’est aussi urgent qu'un dialogue entre ces dignitaires et ceux de l'islam.

Propos recueillis par Jennifer Schwarz
février 2009 - Le Monde des Religions


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